La société du spectacle (1973) de Guy Debord

 

 

Que dire de ce film, adaptation par Debord de son propre essai paru en 1967, sinon qu’il est indispensable. Indispensable parce qu’il est sans doute la critique la plus radicale et la plus lucide de nos sociétés contemporaines. Debord fait à la fois œuvre de théoricien (ses analyses n’ont pas pris une ride, même si les idéologies staliniennes se sont aujourd’hui effondrées) et de stratège (Machiavel et Clausewitz sont cités) en partant d’une situation du monde à un moment précis et en démontant minutieusement tous les aspects misérables de la vie sous le totalitarisme marchand (séparation de l’individu d’avec son temps, son espace ; déification abstraite de la marchandise que l’auteur dénonce à la manière de Feuerbach, critique radicale des idéologies…).

Mon problème vient du fait que j’ai vu à la suite du film un excellent court-métrage du même Debord intitulé Réfutation de tous les jugements tant élogieux qu’hostiles, qui ont été portés sur le film « la société du spectacle » où il dit : « Ceux qui disent qu’ils aiment le film ont aimé trop d’autres choses pour pouvoir l’aimer ; et ceux qui disent ne pas l’aimer ont, eux aussi, accepté trop d’autres choses pour que leur jugement ait le moindre poids. ». Alors, pour ne pas céder à cette « vieille canaille d’époque » et sa « manie de nier ce qui est, et d’expliquer ce qui n’est pas. », je me contenterai de ce qu’il y a dans le film.

Petit florilège :

 

 

« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. »

 

 

« Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l’unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. »

 

 

« Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant. »

 

 

« Dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »

 

 

« Le travailleur ne se produit pas lui-même, il produit une puissance indépendante. Le succès de cette production, son abondance, revient vers le producteur comme abondance de la dépossession. Tout le temps et l’espace de son monde lui deviennent étrangers avec l’accumulation de ses produits aliénés. Les forces mêmes qui nous ont échappé se montrent à nous dans toute leur puissance. »

 

 

« Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image. »

 

 

« Avec la révolution industrielle, la division manufacturière du travail et la production massive pour le marché mondial, la marchandise apparaît effectivement, comme une puissance qui vient réellement occuper la vie sociale. C’est alors que se constitue l’économie politique, comme science dominante et comme science de la domination. »

 

 

« La société qui modèle tout son entourage a édifié sa technique spéciale pour travailler la base concrète de cet ensemble de tâches : son territoire même. L’urbanisme est cette prise de possession de l’environnement naturel et humain par le capitalisme qui, se développant logiquement en domination absolue, peut et doit maintenant refaire la totalité de l’espace comme son propre décor. »

 

 

« L’environnement qui est reconstruit toujours plus hâtivement pour le contrôle répressif et le profit, en même temps devient plus fragile et incite davantage au vandalisme. Le capitalisme à son stade spectaculaire rebâtit tout en toc et produit des incendiaires. Ainsi, son décor devient partout inflammable comme un collège en France. »

 

 

« Le même moment historique, où le bolchevisme a triomphé pour lui-même en Russie, et où la social-démocratie a combattu victorieusement pour le vieux monde, marque la naissance achevée d’un ordre des choses qui est au cœur de la domination du spectacle moderne : la représentation ouvrière s’est opposée radicalement à la classe. »

 

 

« Quand le prolétariat découvre que sa propre force extériorisée concourt au renforcement permanent de la société capitaliste, non plus seulement sous la forme de son travail, mais aussi sous la forme des syndicats, des partis ou de la puissance étatique qu’il avait constitués pour s’émanciper, il découvre aussi par l’expérience historique concrète qu’il est la classe totalement ennemie de toute extériorisation figée et de toute spécialisation du pouvoir. Il porte la révolution qui ne peut rien laisser à l’extérieur d’elle-même, l’exigence de la domination permanente du présent sur le passé, et la critique totale de la séparation ; et c’est cela dont il doit trouver la forme adéquate dans l’action. »

 

 

 « La théorie révolutionnaire est maintenant ennemie de toute idéologie révolutionnaire, et elle sait qu’elle l’est. »

 

 

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