Passez muscade (1941) d’Edward Cline avec W.C.Fields

 

 

Vous ne l’ignorez plus si vous suivez régulièrement ces obscures et monomanes pérégrinations cinéphiliques, je suis un grand fan de W.C.Fields, magnifique poivrot atrabilaire dont l’humour méchant jusqu’à l’excès ne cesse de me réjouir lorsque je découvre, au compte-gouttes (son œuvre n’a pas, malheureusement, la primeur des chaînes de télé) ses films. Mais, contrairement à Keaton et Chaplin ; Fields n’a pas réalisé ses propres films et sa verve comique pâtit parfois d’avoir été abandonnée aux mains d’anonymes tâcherons.

Pour Jean Tulard, Passez muscade est le meilleur film de Fields. Mais comme Tulard a donné cet avis dans ce qui reste certainement l’un des plus médiocres dictionnaires de cinéma ; nous nous devons de nuancer ce jugement en commençant par émettre des réserves.

 

 

Primo : une réalisation plutôt terne où Edward Cline (plus inspiré lorsqu’il tournait avec notre hypertrophié nasal le délirant Folies olympiques)  peine à imprimer un véritable rythme au film. Alors que l’humour de Fields peut s’avérer volontiers graphique et visuellement nonsensique, il est bridé ici par une mise en scène bien terne et plan-plan.

Deusio, comme dans certains films de Marx Brothers, le pur plaisir du burlesque est interrompu par de fadasses numéros musicaux qui n’apportent rien si ce n’est ennui et bâillements !

 

 

Si on passe outre ce rythme un brin nonchalant ; le film se révèle tout à fait plaisant. Fields joue son propre rôle et présente un scénario à un producteur qui ne tarde pas à tomber des nues. Tandis que ce dernier lit le script, nous assistons à l’histoire totalement farfelue d’un homme (Fields) qui saute d’un avion pour rattraper sa bouteille d’alcool, qui tombe sur le haut d’une falaise où vivent une veuve (Margaret Dumont, tête de turc préférée de Groucho Marx) et sa fille qui n’a jamais vu d’homme. Fields apprend à cette dernière le « jeu du bécot », se retrouve confronter à de gros chiens à crocs de morses et à un gorille avant de finir embarqué dans une course-poursuite en voiture totalement délirante.

On l’aura compris, le film est totalement loufoque, alternant un burlesque purement visuel (Fields rebondissant sur un lit lorsqu’il tombe d’avion sans parachute) et un humour verbal caractérisé par un mélange de gouaille vacharde (son vocabulaire fleuri, son inimitable accent…), de fatuité péremptoire et de colères épiques.

A 60 ans, il est ici égal à lui-même : toujours prêt à foutre un coup de pieds aux fesses des sales gamins (ses bêtes noires ! Je ne me lasse pas de sa fameuse citation : « tout homme qui déteste les enfants et les animaux a quelque chose qui parle pour lui »), à braver la maréchaussée et toutes les convenances. A cette hargne jubilatoire s’ajoute un véritable sens de l’autodérision (« on n’attrape pas un nez comme ça en jouant au ping-pong ! » réplique brutalement une dame acariâtre à qui l’on demandait si W.C.Fields buvait) et du délire burlesque.

A ce titre, la poursuite finale, complètement farfelue, parvient à renouer avec le vent de folie destructeur des films burlesques primitifs.

 

 

Sans doute pas le chef-d’œuvre du siècle mais l’œuvre de W.C.Fields gagne, à coup sûr, à être redécouverte plus en détail…
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