Les climats (2006) de et avec Nuri Bilge Ceylan et Ebru Ceylan

 

 

Il faut que je me fasse violence en ce moment pour sortir de chez moi et aller dans les salles obscures tant ce début d’année me paraît moribond en nouveautés alléchantes. A tel point que j’ai fini par opter, en désespoir de cause, pour un film turc (c’est grave, docteur ?), réalisé par le jeune Nuri Bilge Ceylan, déjà remarqué pour son film Uzak (je ne l’ai pas vu).

Les climats débute sur le malaise d’un couple en vacances. Pas d’explication mais l’impression d’une distance entre cet homme et cette femme ; de sentiments qui s’étiolent et s’effilochent. Le couple se sépare, Isa renoue avec une ancienne connaissance (maîtresse ?) tandis que sa femme Bahar part sur la côte Est pour tourner une série télé.

 

 

Depuis Le voyage en Italie de Rossellini, la question du couple hante le cinéma moderne. D’où cette litanie de références qu’on ne manquera pas d’invoquer à propos du film de Ceylan, d’Antonioni (la tarte à la crème de l’incommunicabilité) au dernier film de Resnais (pour cette neige qui finit par ensevelir les sentiments des individus). Le cinéaste propose ici une radiographie très minutieuse d’un couple qui se sépare, une évocation quasi-atmosphérique (comme le suggère le titre) de la manière dont les liens entre deux individus se distendent avant de se rompre. C’est fait sur du presque rien : un nuage qui passe devant le soleil, le visage d’une femme souriante qui varie imperceptiblement avant que des larmes finissent par couler.

On l’aura compris, le récit est extrêmement ténu et les amateurs d’action passeront évidemment leur chemin. Pour ma part, mon verdict est assez mitigé car je n’arrive absolument pas à déterminer si ce film est une subtile réussite d’un cinéaste sincère (les Ceylan sont mari et femme à la ville comme à l’écran) ou bien la quintessence d’un certain maniérisme moderniste.

 

 

Les éléments me faisant pencher pour la première solution sont les incontestables talents de mise en scène de Nuri Bilge Ceylan. Voilà un film superbement cadré, qui cherche à utiliser toutes les ressources du plan (jeu sur des échelles différentes, sur des focales qui isolent les personnages, sur des reflets de miroirs…) et qui ose faire durer ses plans pour laisser les choses advenir (ces changements d’humeur sur le visage des comédiens, une lumière qui varie…) Alors bien sûr, on songe parfois que le cinéaste porte bien son nom (« c’est lent ! », je sais, c’est à la fois très mauvais et très facile mais je n’ai pas pu résister !) mais il y a dans ce film de vrais partis-pris formels : ça nous change de l’esthétique téléfilmique ou MTVesque qui constitue l’apanage de 95% de la production cinématographique actuelle. J’avoue aimer énormément le début de ce film, notamment une scène onirique sur la plage où Ceylan parvient parfaitement à créer un climat étouffant, une ambiance où plane un malaise permanent alors qu’on ne sait rien de ce couple. 

 

 

Après la rupture, le film me plait un peu moins et surtout, j’ai soupçonné le maniérisme dont je parle plus haut lors de la scène des retrouvailles avec l’ancienne copine qui tourne à une scène d’amour ambiguë (quelque chose entre l’étreinte passionnée et le viol). Et ce maniérisme, je le ressens, allez savoir pourquoi !, dans l’utilisation que fait le cinéaste du son ! Tous les bruits sont amplifiés à l’extrême, de la cigarette qui grille aux coups sourds que font les corps lors de l’étreinte (je ne parle même pas du bruit de crâne broyé que fait un pull que la femme cherche à arracher !) . Du coup, tout m’a paru un brin artificiel et je me suis demandé si tous ces plans fixes, ces regards lourds, ces non-dits pesants n’étaient pas le comble d’une certaine pose moderniste.

Sincèrement, je n’arrive pas à me décider. Pourquoi certains cinéastes utilisant la même esthétique (Tsai Ming-Liang, Elia Suleiman, Aki Kaurismäki…) me bouleversent tandis que Ceylan me laisse relativement froid, je suis incapable de vous le dire !

Certains moments me touchent (notamment ceux avec Ebru Ceylan, très belle et très émouvante actrice), d’autres m’indiffèrent totalement (ses producteurs devraient souffler au cinéaste qu’il est très dangereux de filmer des acteurs bailler ou regarder leurs montres car ces gestes sont contagieux !)

 

 

Peut-être me faudra-t-il voir d’autres films de Ceylan pour me faire une opinion et déterminer s’il a mis son indéniable talent au service d’une œuvre personnelle ou d’une esthétique maniériste destinée aux festivals internationaux…

 

 

 

 

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