La disparition
Une femme disparaît (1938) d’Alfred Hitchcock avec Margaret Lockwood, Michael Redgrave
Et pendant ce temps-là, le cycle Hitchcock continue… N’étant pas souvent chez moi le vendredi soir, cela fait maintenant un certain temps que nous n’avons pas évoqué les films du maître. Mais l’heure a sonné de reprendre le train en marche (c’est le cas de le dire puisque le film se déroule quasiment à huis-clôt dans un train) de cette grandiose rétrospective concoctée par la chaîne CinéClassic.
Une femme disparaît est l’un des derniers jalons de la période anglaise d’Hitchcock et certainement le meilleur film de ladite période. Il débute dans un hôtel en Autriche où des voyageurs attendant leur train se retrouvent bloqués par la neige. Dans un premier temps, le cinéaste se contente de présenter tous les personnages que nous retrouverons par la suite dans le train : une jeune femme rentrant chez elle pour se marier, un musicien bruyant et sans-gêne, deux britanniques fans de cricket qui veulent absolument arriver à Londres pour voir le match de leur équipe favorite, Mrs Froy, une vieille femme qui se lie avec la jeune fiancée et dont le destin sera celui annoncé par le titre du film…
Ce premier mouvement dans l’hôtel donne l’occasion à Hitchcock d’exprimer son sens de l’humour. Le film est d’abord très drôle, notamment grâce à ces deux britishs flegmatiques (forcément) qui se voient contraints de dormir à deux dans une chambre de bonne. Le cinéaste multiplie les allusions graveleuses et les sous-entendus explicites (il faut voir nos deux bonhommes dans le même lit, l’un torse nu et l’autre dont le pantalon de pyjama est suspendu non loin du lit). Comme tout cela est montré avec une certaine finesse, ce n’est jamais vulgaire et on s’amuse beaucoup (il faut voir le sourire de la bonne autrichienne !).
Même lorsqu’il deviendra plus inquiétant (lorsque nous entrerons de plain-pied dans l’enquête policière), le film ne se départira pas de cette légèreté initiale et on le suivra le sourire aux lèvres. Comme je le signalais au début de cette note, le film déploie ensuite ses effets dans un espace clos et unique : celui des wagons d’un train. Comme le précisait l’ouvreuse attitrée de la chaîne câblée (Jean-Jacques Bernard), le film a été entièrement tourné dans un studio minuscule (27 mètres de long) et Hitchcock a du composer avec ces contraintes de tournage. C’est là que nous voyons qu’il maîtrise désormais parfaitement la grammaire cinématographique et qu’il parvient, grâce à un jeu avec les transparences, des décors peints et des maquettes, à nous propulser dans un univers auquel nous croyons immédiatement.
La maîtrise dont il fait preuve explique d’autant moins une surprenante ellipse qui intervient sur la fin du film et qui s’apparente quasiment à de la désinvolture. En effet, à moins que j’aie sombré dans un micro-sommeil de quelques secondes, je n’arrive pas à m’expliquer ce que devient un « méchant » tenant en joue tous les voyageurs du train et dont il n’est soudain plus du tout question !
A part ce « trou » dans le scénario, l’intrigue est captivante et filmée (déjà !) avec une grande maestria. Hitchcock utilise à merveille l’espace confiné du train, joue sur la profondeur de champ des couloirs du train, s’amuse à semer des indices ça et là (un nom écrit sur une vitre embuée, un sachet de thé…) et à exacerber le suspense par un simple cadrage (la belle contre-plongée sur des verres d’alcool dont le spectateur sait qu’ils sont empoisonnés). C’est déjà du grand Art.
Comme la plupart de ses films anglais, Une femme disparaît est d’abord un brillant divertissement (ça n’a rien de péjoratif !) et peut paraître moins « personnel » que les films plus sombres de la période américaine. Comme dans Jeune et innocent, il est amusant de voir comment les tourtereaux qui mènent l’enquête prennent le temps de flirter et de se crêper le chignon alors que l’heure est plutôt grave.
Pourtant, le contexte du film est plutôt noir. Tourné juste avant la guerre, il regorge d’allusions à la situation internationale du moment. Hitchcock penche d’ailleurs déjà pour une intervention armée contre les systèmes totalitaires et montrent clairement que la solution du pacifisme est inutile contre les dictatures (le personnage de l’avocat qui tente la négociation se fait tuer). De la même manière, le personnage le plus terrible du film (ne lisez pas la suite si vous avez l’intention de le regarder prochainement !) est autrichien et, comme par hasard, il trouve un allié italien (un escamoteur) dans le train.
Mais une fois de plus, tout cela est filmé sans la moindre lourdeur, sans forcer le trait. Hitchcock sait que nous sommes devant son film pour voir du cinéma et non pas pour se voir asséner des discours géopolitiques.
C’est tout à son honneur d’être parvenu à parler du monde comme il va (mal) tout en n’oubliant jamais de faire de l’Art…