Trash (1970) de Paul Morrissey avec Joe Dallesandro

 

 

Paul Morrissey a beau être devenu un vieux con moralisateur, on ne peut s’empêcher de penser que l’éclairage qu’il jette désormais sur sa trilogie n’est pas totalement erroné. Pour lui, il ne s’agissait pas d’exalter la liberté sexuelle et la disparition de toutes les contraintes mais bel et bien de poser un regard critique sur une génération sans plus aucun repère ni avenir défini. Il me semble, au vu des deux premiers volets de la série (Heat, c’est pour la semaine prochaine) que cette dimension « critique » n’est peut-être pas aussi soulignée que ça mais ; il est hors de question, selon moi, de parler de « comédies libertaires » comme le prétend un critique de Télérama.

Flesh, c’était la liberté récupérée par le merchandising ; le devenir marchandise du corps avec toujours une dimension  « fun », une pose branchouille. Plus rien de ça dans Trash qui est la description minutieuse du quotidien délabré d’une bande de pathétiques épaves. Joe, junkie accro à l’héroïne, passe ses journées à tenter de gagner quelques sous pour se payer ses doses. Il vivote plus ou moins chez un transsexuel qui lui fait office de « maîtresse », rencontre une jeune fille accro au LSD et tente un cambriolage foireux chez un couple « libéré ».

Rien de plus que ces saynètes de la vie quotidienne (un quotidien très sordide où le transsexuel meuble son appartement grâce aux trouvailles qu’il fait dans les poubelles). Les une heure cinquante de film se résument d’ailleurs à très peu de séquences (huit, peut-être neuf) qui, elles-mêmes, se réduisent souvent à un dialogue à deux voix.

Trash est, d’une certaine manière, particulièrement représentatif d’un certain courant du cinéma underground : mise en scène brute de décoffrage, cadre inexistant (la caméra bouge au petit bonheur la chance mais cela n’empêche d’ailleurs pas de très beaux gros plans), « cinéma-vérité » qui tente d’arracher des moments d’authenticité sur la durée, provocations en tout genre : sociales, sexuelles… (cette faune de drogués, de prostituées, de transsexuels et autres travestis, Dallessandro à poil la moitié du temps…).

 

 

Tout cela pourrait être totalement insupportable (les gros plans sur le bras de Joe en train de se piquer) mais finit par être assez intéressant. En étirant au maximum ces scènes « de chambre » où il ne se passe pour ainsi dire rien, Morrissey parvient finalement à dépasser une vision purement « sociale » de ce qu’il montre et de faire advenir des personnages. Si critique il y a, c’est juste dans le regard que le spectateur peut éventuellement porter sur cet univers et dans le jugement qu’il formulera a posteriori . Dans le plan, il n’y a qu’une étonnante neutralité, des personnages qui sont eux-mêmes sans symboliser la moindre chose ni illustrer un discours. .

Je disais la semaine dernière ne pas avoir été émoustillé par la vue des attributs virils de Joe Dallessandro. Ca n’a pas changé depuis mais il faut que je précise tout de même qu’il est, au demeurant, un excellent acteur. Dans Trash, il incarne parfaitement cette pure présence au monde, cette sensation d’être là sans toujours y être (cet étonnant regard vitreux qu’il arbore souvent : il devait vraiment être défoncé au moment du tournage !). Joe, comme les individus qui l’entourent, ne sont ni à ériger en modèle, ni à blâmer ; ils ne sont ni sympathiques, ni antipathiques : ils sont là, rebus à la dérive d’une société qui perd la tête et qui ne leur propose finalement que les poubelles de l’Histoire.

 

 

En ce sens, le film conserve une dimension « warholienne » : son esthétique est celle du déchet et du recyclage. Sauf que Warhol en faisait quelque chose de monnayable tandis que Morrissey en offre une vision sinistre, désespérée et pathétique (cet affreux transsexuel qui se met un coussin sous le pull pour faire croire qu’il attend un enfant et réclamer des aides sociales)

Pas sûr que je ne préfère pas cette dimension noire et glauque dont on garde en mémoire quelques éclats, comme les visages de ces naufragés d’un monde à la dérive…

 

 

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