Bug (2006) de William Friedkin avec Ashley Judd, Harry Connick Jr

 

 

 

L’œuvre entière de William Friedkin est hantée par la figure du Mal, parfois même jusqu’à prendre l’apparence du Diable en personne (l’exorciste, la nurse…).Or ce qui m’a souvent déplu chez ce cinéaste, c’est la manière qu’il a de circonscrire cette figure dans une altérité radicale et son incapacité à analyser ce « Mal » si ce n’est sous l’angle de la morale la plus étriquée. J’ai déjà eu l’occasion de polémiquer sur certains films de Friedkin (voir ici ou les commentaires ), je n’y reviens pas en détail : Friedkin me semble un cinéaste très manichéen, adoptant sans arrêt le regard surplombant du juge lorsqu’il s’agit de filmer ce qui franchit les frontières de la Loi (les truands de French connection) ou de la Morale (le milieu homo de Cruising).

Avec Bug, les choses se compliquent et l’œuvre du cinéaste y gagne en ambiguïté. Sans crier au génie comme certains critiques enthousiastes, c’est effectivement le meilleur film que Friedkin nous ait offert depuis un paquet d’années (je dirais bien l’exorciste mais je ne connais pas assez sa filmographie pour être aussi catégorique).

 

 

Dans un motel miteux paumé au milieu de nulle part va se jouer un drame à trois personnages. Agnès (A.Judd) est barmaid et craint de voir rappliquer chez elle son mari qui vient de sortir de prison (est-ce lui qui téléphone sans cesse, sans répondre lorsqu’elle décroche ?). Un soir, une de ses amies lui présente un type étrange qui finira par passer la nuit chez elle. Une relation va naître entre ces deux paumés et c’est ici que les choses deviennent inquiétantes : notre bonhomme est persuadé d’être la proie de minuscules insectes et commence à évoquer de sombres théories paranoïaques…

 

 

Ce qui séduit d’abord dans Bug, c’est son côté mal élevé. A rebours de toutes les modes, Friedkin filme comme dans les années 70, troussant une petite série B remarquablement efficace en se concentrant sur quelques personnages et un lieu clos. Sobriété des moyens (un épisode de la vie d’Agnès, qui aurait donné lieu dans un film médiocre à un flash-back larmoyant est traité ici en deux plans impeccables), découpage sec et inventif (l’espace du motel est parfaitement utilisé et toujours « signifiant », nous allons y revenir), brutalité qui tranche avec l’aseptisation  d’une grosse partie de la production cinématographique actuelle…

C’est dans le cadre de ce huit-clos que va ressurgir la figure du Mal chère à Friedkin. Dans un premier temps, c’est l’ex-mari d’Agnès (Harry Connick Jr.) qui endosse ce rôle (sa première apparition, lorsqu’il sort tout fumant de la douche, est symptomatique). A cette brute sans cervelle qui n’hésite pas à battre sa femme, le cinéaste oppose la figure d’Evans, l’homme taciturne et prévenant. Mais le manichéisme n’opérera pas puisque c’est ce dernier qui va sombrer de plus en plus rapidement dans la folie schizophrène et entraîner Agnès dans son voyage sans retour.

Dans son délire paranoïaque, notre homme a un mot qui m’a frappé particulièrement. Après avoir détaillé une vaste théorie du complot, il prétend être resté le dernier individu lucide avec le grand Unabomber. La comparaison n’est pas innocente et l’on pourrait y voir les vieux démons de William Friedkin : ceux qui dénoncent les agissements américains sont des fous dangereux, des « terroristes » et délirent sur des dangers imaginaires (comme le dit la voix du bon sens américain au malade mental : « tu encules des mouches ! »). Sauf que cette fois, les frontières sont brouillées et que le cinéaste fait dire aussi des vérités à son personnage délirant (sont évoqués, par exemple, les expérimentations sur les soldats au VietNam et en Irak).

La force de Bug, c’est justement d’accompagner le personnage dans sa folie et de ne pas se retrancher derrière la frontière de la « normalité » pour le juger. L’ambiguïté culmine lors des scènes finales où le couple se retrouve dans des pièces aux murs recouverts de papier d’aluminium. Certains ont parlé d’installation plastique, j’y vois plus la projection physique d’un espace mental perturbé. C’est assez impressionnant ! On songe un peu au très beau film de Lodge Kerrigan Clean shaven,  portrait glaçant d’un tueur schizophrène.

C’est d’ailleurs en souvenir de ce film que j’émettrai quelques réserves sur Bug. D’une part, cinéaste rarement fin, Friedkin trouve le moyen de louper ici quelques scènes (l’atroce scène d’amour comme exemple symptomatique) ; d’autre part, il lui arrive aussi de rester parfois un peu prisonnier de la forme théâtrale qui a présidé à l’élaboration de ce film. D’où quelques passages un peu bavards et moins palpitants.

 

 

Ces réserves faites, le film mérite le coup d’œil et nous réconcilie un peu avec un cinéaste que nous trouvions jusqu’à présent assez surestimé…

 
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