Chromosome 3 (the brood) (1979) de David Cronenberg avec Oliver Reed, Samantha Eggar

 

 

David Cronenberg est désormais reconnu comme auteur majeur par tout le monde. Ce n’est que justice et je ne me plaindrai pas de ce consensus puisque l’auteur de la mouche figure au panthéon de mes cinéastes favoris. Il faut cependant se souvenir qu’il fut d’abord considéré comme un simple réalisateur de films de genre, n’intéressant par conséquent que les spécialistes. Ce furent ces derniers (grâce leur soit rendue !) qui durent lutter pour faire reconnaître l’intérêt de films comme Frissons ou Rage, les premiers films de Cronenberg a avoir été distribués en France.

The brood (ce qui signifie « la portée » ! Ne cherchons pas les raisons d’une traduction sibylline en Chromosome 3, les traducteurs de titres de films ont des lubies parfois étranges !) s’inscrit totalement dans la tradition du film de genre avec ses mystérieux monstres s’attaquant aux êtres humains jusqu’au final « ouvert » qui laisse entendre que tout ne fait que commencer. Mais dans ce cadre que Cronenberg maîtrise à la perfection (le film fout souvent les jetons) se dessinent déjà toutes ses obsessions.

 

Dans la clinique du docteur Hal Raglan (l’excellent Oliver Reed), on soigne les malades d’une manière inédite grâce à la psychoprotoplasmique. Les patients, lors de séances où Hal s’identifie à leurs proches, extériorisent leurs névroses par des manifestations organiques (plaies, pustules…). C’est dans cette clinique qu’est soignée Nola (l’étonnante Samantha Eggar), jeune femme torturée par ses souvenirs d’enfance et qui vient de se séparer de son mari Frank. Tout bascule le jour où celui-ci se rend compte que leur fille Candice est victime de sévices inexpliqués (son dos est couvert de bleus) et que des meurtres surviennent dans leur entourage…

 

Dans un court et très intéressant bonus du film, Serge Grünberg (auteur d’un livre sur le cinéaste) nous apprend qu’il s’agit de la seule œuvre « autobiographique » de Cronenberg. A l’époque, le cinéaste aurait « enlevé » sa fille à sa femme qui fréquentait une sorte de secte où l’on pratiquait l’anti-psychiatrie (à l’image de la clinique du Dr Raglan). Ce n’est sans doute pas sous cet angle qu’il faut aborder le film mais cela permet de jeter un nouvel éclairage sur une œuvre assez étonnante, qui condense tous les thèmes que développera par la suite Cronenberg.

Ces thèmes, ce sont la contamination, les rapports entre l’organique et le cérébral, les effets psychosomatiques et les mutations génétiques de l’espèce humaine (annoncé dans Vidéodrome comme l’avènement d’une « nouvelle chair »).

Ici (je déconseille à ceux qui n’auraient pas vu le film, et qui voudraient se réserver la surprise du dénouement, de poursuivre la lecture de cette note), c’est Nola qui engendre elle-même sa progéniture, espèce mutante et monstrueuse née de sa colère et de sa haine.

Cronenberg, par le biais d’un conte morbide et horrifique (le parcours de cette fillette, traumatisée par de mystérieux visiteurs puis enlevée à ses parents et cachée dans une cabane évoque également une version « actualisée » des contes de notre enfance), explore les relations entre le psychisme et horreur organique. D’un point de vue purement figuratif, l’  « accouchement » extra-utero  de Samantha Eggar reste un moment d’épouvante assez sidérant. Par la seule force de son esprit, elle est capable de créer des créatures malfaisantes qui vont agir pour elle. Plus tard, les individus de Scanners seront capables par la pensée de faire exploser des têtes et le héros de Dead zone pourra voir le passé, l’avenir et même le modifier. L’esprit agit sur le corps (les « visions » de Christopher Walken dans Dead zone l’épuise et le « vide ») et provoque une mutation de l’espèce humaine (il y aurait, encore une fois, beaucoup de choses à dire sur le contact de deux mains dans Dead zone puisque ce geste qui rapproche normalement les individus fait de Walken un être « monstrueux », radicalement autre).

Des mutations, il y en aura beaucoup dans le cinéma de Cronenberg (de l’homme en insecte dans ce chef-d’œuvre qu’est la mouche, de la fusion de l’homme et de la machine à écrire dans le festin nu, de la chair et du fer dans le sublime Crash…) . Avec The brood, le cinéaste nous en offre des prémisses totalement réussies…

 

 

 

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