Révision déchirante
Angel (2006) de François Ozon avec Romola Garai, Sam Neill, Charlotte Rampling
Vous allez encore dire que j’ai les idées tordues mais ce qui a porté le coup le plus décisif à François Ozon dans mon esprit, c’est de découvrir un film de…Lelouch ! Connaissez-vous Mariage ? C’est un très mauvais film mettant en scène la vie d’un couple (Rufus et Bulle Ogier) à travers quelques instants clés de son existence (l’achat d’une maison, la nuit de noces le jour de la Libération, la routine bourgeoise qui s’installe…). En découvrant cette œuvre rance, je me suis dit que j’avais déjà vu ce film : c’était 5x2 de François Ozon. Le principe était exactement le même sauf que le récit se déroulait à rebours chez ce dernier. Et je suis soudainement tombé dans un abyme de perplexité : et si ce cinéaste, que j’ai plutôt l’habitude de défendre sans pour autant sauter au plafond, n’était qu’un Lelouch des années 90/2000 ?
A mesure que je comparais 5x2 (que j’avais plutôt défendu à l’époque de sa sortie, voir ici) et Mariage, je leur trouvais de nombreuses analogies : même déterminisme, même tics formels pour enrober un scénario banal (la photo sépia de Lelouch, la narration à rebours d’Ozon). Et je me suis demandé s’il n’était pas urgent de reconsidérer toute l’œuvre d’Ozon à l’aune de celle de Lelouch : même appétit pour les castings luxueux, pour l’alternance entre les grosses productions et les « petits » films ; et surtout, même « concessions » aux goûts de l’époque : la vulgarité télévisuelle de Lelouch laissant place au cynisme (un peu) provocateur de l’auteur de Sitcom.
Que restera –t-il d’Ozon dans 30 ans ? Est-ce que ses mises en scène par « aplats », à la surface des choses nous paraîtrons aussi ringardes et démodées que les mouvements de caméra en « essuie-glaces » de Lelouch ? Sincèrement, je commence à en être persuadé et ça me fait de la peine, moi qui avait tant aimé Regarde la mer (je me demande, au vue de leur carrière respective, si la réussite de ce film ne venait pas avant tout de Marina de Van !) et Sous le sable.
D’une certaine manière, ces interrogations sont aussi celles du film. Angel est une jeune fille ambitieuse qui souhaite de tout cœur devenir une écrivain célébrée dans toute l’Angleterre. Elle y parvient rapidement alors que visiblement, elle n’a pas un grand talent littéraire (elle tombe juste au bon moment, en trouvant un filon qui plaît au public). Les analogies avec la carrière d’Ozon sont évidentes : succès immédiat, boulimie d’écrire (ou de tourner), jalousie des critiques qui s’éloignent peu à peu et même sentiment d’ « imposture » (l’œuvre d’Angel n’est-elle qu’un phénomène de mode ou une véritable création ?)
Malheureusement, Ozon ne fait absolument rien de toutes ces questions. Angel se veut un mélo à l’ancienne. Rien ne surprendra dans le parcours de la jeune héroïne : débuts modestes, succès foudroyant et conquête des hautes sphères culturelles, rencontre amoureuse, trahison et déchéance. Pourquoi pas ? De Douglas Sirk à Breaking the waves en passant par les films de Borzage, de Demy, de Fassbinder et même Loin du paradis de Todd Haynes ; j’ai toujours adoré le mélodrame. Sauf qu’il aurait fallu trouver une forme qui permette à Ozon d’habiter et d’incarner la (très) longue mélopée des clichés qu’il déploie sans la moindre inspiration.
Le film est totalement fabriqué et ses articulations ne répondent qu’à des coups de force scénaristiques. Du coup, tout paraît artificiel. Angel devient immédiatement une star des librairies sans qu’on sente l’angoisse, le travail d’écriture ni même une véritable joie (de toutes façons, c’était écrit !). Lorsqu’elle devient la coqueluche de la « haute » et des théâtres londoniens, on ne sent absolument plus les différences de niveaux sociaux, sauf le temps de quelques blagues anodines (le dîner d’Angel chez son éditeur et sa femme). On songe alors à tous le travail effectué par un Woody Allen sur le langage, sur le décor et la violence des rapports sociaux dans Match point (ou même, sur un mode mineur, dans Escrocs mais pas trop) et on réalise alors ce qu’est un vrai cinéaste !
Tout est de cet ordre : l’histoire d’amour arrive comme un cheveu sur la soupe et n’est jamais incarnée, les rapports entre Angel et Nora sa secrétaire (ah ! le souvenir d’Eve de Mankiewicz !) sont totalement insipides et pas du tout approfondis…
A un moment donné, Angel au summum de son succès descend un escalier sous les applaudissements de toute la haute société. J’ai repensé à Lili Marleen et je me suis dit qu’Ozon n’avait ni l’intelligence de Fassbinder pour mener une véritable réflexion distanciée sur le succès, sur la manière dont l’époque gonfle, par des mises en scène colossales, les baudruches les plus minables ; ni sa sincérité pour jouer à fond la carte du mélodrame.
Ozon n’est pas sans talent mais c’est un petit malin. Il connaît par cœur les clichés du genre et il n’hésite pas à se vautrer dedans (la pluie qui accueille le premier baiser des amants tandis que la caméra effectue un mouvement vers le bas pour les prendre en contre-plongée devant un arc en ciel, l’utilisation des transparences qui semblent plaire à la critique depuis OSS 117…). Sauf qu’au lieu de les habiter, il les plaque d’une manière totalement artificielle. Ce qu’il assume de ces clichés, ce n’est pas leur potentiel émotionnel mais leur kitsch. Du coup, tout le récit semble plaqué, les rebondissements ne répondant à rien d’autre qu’au scénario.
Si Ozon me séduisait autrefois, c’était également pour son insolence (je me souviens avec délice des réactions dégoûtées de jeunes filles au festival de Clermont parce qu’il filmait une vieille femme nue dans X 2000. C’est pourtant là qu’Ozon est bon : lorsqu’il transgresse les vrais tabous –la vieillesse- et qu’il filme, par exemple, Charlotte Rampling nue dans Swimming pool) . Il l’a totalement perdue dans cet interminable Angel. Le film est d’un académisme accablant, totalement figé dans son décorum et dépourvu de la moindre audace. Pour le coup, ce n’est même plus du Lelouch mais du Delannoy !
Avec tous ces beaux costumes, ces décors imposants ; Ozon ne s’intéresse à rien d’autre et son roman initiatique se déroule mollement, ne dépassant jamais l’illustration artificielle d’un scénario clichetonneux.
Quand aux petites notations « féministes » du film, je les passe sous silence pour ne pas accabler encore plus ce pauvre Ozon !
Finalement, on ne retiendra d’Angel que les beaux yeux de Romola Garai. L’actrice est belle à ravir et crève l’écran par sa spontanéité, son énergie et son charisme. Comme Lelouch (on y revient !), Ozon est un très bon directeur d’acteurs. Espérons que la suite nous démontrera qu’il n’est pas que ça et qu’on reverra très vite sa comédienne sur nos écrans…