De battre mon cœur s’est arrêté (2005) de Jacques Audiard avec Romain Duris, Niels Arestrup, Emmanuelle Devos, Aure Atika

 

Pour quelles raisons me suis-je dis que tout était joué dès la première scène et que je ne pourrai jamais aimer ce film qui obtint pourtant un inexplicable triomphe auprès du public, de la critique et des professionnels de la profession (la pluie de Césars qui lui fut réservée) ? Jacques Audiard débute son film par un dialogue entre Tom (Romain Duris) et l’un de ses compères qui lui raconte la relation ambiguë qu’il a vécu avec son père. Le monologue qui s’engage permet de comprendre que notre type n’a jamais supporté que son père le traite comme un pote, lui parle de ses aventures sexuelles et que, d’une certaine manière, les rôles s’inversent : le fils endossant à son insu le rôle du père. Dès cette scène d’exposition, De battre mon cœur s’est arrêté sort l’artillerie lourde de la psychologie et lorsque dix minutes plus tard, nous pourrons constater que Tom vit une relation similaire avec un son père (Niels Arestrup) qui lui annonce son remariage ; on réalise alors que tout est définitivement écrit et que le film ne sortira jamais plus des rails de son psychologisme lourdaud, même si Audiard tente de le dissimuler sous un vernis de film noir et d’une retenue devenue aujourd’hui le parangon d’un nouvel académisme (comme le remarquait très justement Ludovic ici).

 

Rapport au père, donc. Tom est une petite frappe qui suit les traces de son père en magouillant dans l’immobilier (peut-on faire autre chose dans ce secteur d’activité ?). Marchand de biens, il n’hésite pas à inspecter lui-même ses possessions pour déloger les familles qui y squattent à coups de batte de base-ball. C’est lui qui se charge également de régler les coups foireux de son père (au cas où l’on n’aurait pas bien compris qu’ils ont inversé les rôles et que c’est désormais lui qui prend en charge l’existence de son père). Un beau jour, il croise l’impresario de sa mère pianiste, aujourd’hui décédée. Ce dernier lui propose une audition et, sur un étrange coup de tête, Tom décide de se remettre au piano…

 

Le thème de la filiation hante les précédents films d’Audiard (Regarde les hommes tomber) et lorsqu’on porte un tel nom, le spectateur lambda se dit que de nombreuses résonances intimes doivent parcourir De battre mon cœur s’est arrêté. Intéressant de voir comme un homme tente d’échapper à l’héritage paternel (d’une certaine manière, Michel Audiard était le pur représentant de la tendance lourde du parc immobilier du cinéma français), à l’anonymat du commerce dans sa dimension la moins glorieuse pour une sorte de rédemption par l’Art (la musique pour Tom, un cinéma de metteur en scène et non de dialoguiste pour Jacques). Intéressant de voir également la manière dont le cinéaste se drape dans une certaine humilité factice (Tom ne deviendra jamais un grand pianiste) pour tenter de réconcilier le père et la mère (cinéma « populaire » mais « profond », cinéma « psychologique » mais jouant sur la discrétion et la retenue…). Malheureusement, le film ne fonctionne pas et tous ces thèmes que le cinéaste dévide assez bruyamment (rien de plus « voyant » que sa retenue) paraissent trop étudiés et réfléchis pour prendre corps à l’écran. C’est véritablement du cinéma de scénariste, où tout paraît calibré et fabriqué. De la « qualité française » remise au goût du jour, c’est-à-dire avec moins de mots d’auteur et de cabotinage de la part des comédiens (plutôt bons ici) et plus d’ « atmosphère » (film noir et mélancolique). Mais c’est le même principe : un peu de sociologie (les associatifs qui se battent aux côtés des expulsés, c’est pour plaire à Télérama !), une tonne de psychologie (regards lourds en sous-entendus, effets soulignés lourdement, oppositions schématiques –Art et commerce-…) et pas réellement de personnages mais des « types » (à ce titre, il faudrait développer la manière dont Audiard se montre incapable de construire un personnage féminin et comment il les abandonne au cours du récit).

 

Sans être totalement ennuyeux (le récit, signé Benacquista, est plutôt solide), le film ne m’a jamais séduit et m’a plutôt agacé par ses chichis « auteurisants » (cette manière de tenter de  tout « anoblir » par la musique). Côté mise en scène, si Audiard évite l’indigence du champ/contrechamp téléfilmique du polar à la française tendance années 80 ; il se contente souvent de plans serrés auxquels il donne un vernis  moderniste  grâce à une caméra parfois portée à l’épaule et une photo ripolinée.

 

Le seul personnage qui m’a paru un peu plus intéressant, c’est celui de la répétitrice chinoise (qui, en fait, doit être vietnamienne). Lorsque Tom joue du piano devant elle, il se noue une relation qui, enfin !, ne passe ni par le langage ni par les clichés psychologiques. D’où notre déception lorsque arrive une fin totalement artificielle et qui ne s’inscrit absolument pas dans la logique du film.

 

Vous aurez compris que je n’ai décidément pas accroché du tout à ce que je considère comme un nouvel avatar de l’académisme « new look » d’un bon nombre de cinéastes français…

 

 

 

 

 

 

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