Frenzy (1972) d’Alfred Hitchcock

 

S’il y a bien une chose qu’on ne pourra jamais retirer à Hitchcock, c’est d’avoir été fidèle aux mêmes thèmes toute sa vie. En découvrant Frenzy (eh oui ! je ne l’avais jamais vu), j’ai cru revoir Jeune et innocent et un certain nombre d’autres films du maître. Une fois de plus, il est question d’un homme accusé à tort d’être un tueur en série ; maniaque sexuel qui abuse des femmes avant de les étrangler avec sa cravate.

Ce qui a changé dans ce film, c’est l’époque. Hitchcock est passé de l’insouciance de la période anglaise (on batifole en attendant de trouver les véritables coupables) aux obsessions et angoisses des chefs-d’œuvre des années 50/60. Mais ce qui restait encore relativement sous-jacent dans Vertigo, Fenêtre sur cour et Psychose est étalé brutalement dans Frenzy. Hitchcock ne se préoccupe désormais plus de ce qui a fait sa renommée jusqu’alors, le suspense (le spectateur sait très rapidement qui est le meurtrier), mais livre désormais sans filet ses obsessions.

Je ne connais pas tous les films du cinéaste mais Frenzy me paraît être le plus agressif d’entre tous, celui où il ménage le moins un spectateur qui prend en pleine face le spectacle de la perversion sexuelle. Symptomatiquement, c’est également le premier film où le prude Hitchcock filme des corps nus et affiche ouvertement un grand plaisir sadique à maltraiter les femmes de son histoire.

 

Plus que le fadasse faux coupable, c’est le meurtrier qui semble avoir la prédilection du cinéaste et dans lequel il projette ses fameuses obsessions. C’est un type en apparence normal mais qui souffre de ses relations malheureuses avec les femmes. Du coup, sa frustration s’est transformée en perversion et il ne peut désormais plus imaginer une liaison autrement que sur le mode du rapport de force (dans les agences matrimoniales qu’il fréquente, il réclame des femmes soumises, qui acceptent les rapports masochistes). Cette personnalité rappelle celle d’Hitchcock, qui n’est certes pas devenu meurtrier, mais qui a sublimé ses frustrations en se comportant de manière tyrannique avec ses actrices.

Ce désir d’asservir le corps de la Femme, on le ressent très fortement dans Frenzy, avec ces séquences assez longues où le tueur « étrangle » sa première victime après l’avoir violée. Images chocs de cadavres dénudés, de regards exorbités et de langues pendantes après strangulation qui donnent au film un caractère parfois à la limite du Grand Guignol. Je pense notamment à ce passage assez hallucinant où le tueur tente de retrouver l’épingle à cravate qu’il a laissée entre les mains d’une de ses victimes. Le voilà donc dans un camion, tentant d’extirper le cadavre d’un sac de patates et de lui arracher l’objet en question de ses doigts rigidifiés. Rarement on aura traduit aussi abruptement la phobie de la chair que lorsque notre homme se retrouve la tête dans l’entrejambe de la défunte, au milieu des pommes de terre !

 

Le film serait sans doute insupportable s’il ne jouait pas la carte volontaire de l’humour noir. Dans cette scène du camion, c’est davantage le côté grotesque qui saute aux yeux que l’aspect véritablement macabre de l’action. Le côté pathologique du film, les névroses qu’il dévoile assez crûment sont distanciés par un humour parfois très morbide (la découverte du premier corps dans la Tamise alors qu’un « officiel » annonce la fin de la pollution du fleuve) ou très flegmatique (ces délicieuses scènes où l’inspecteur raconte les évènements à sa femme tout en essayant d’échapper à sa cuisine « exotique »).

 

Pour être franc, ce n’est pas le film d’Hitchcock que je préfère et je le trouve plutôt mineur (si le cinéaste maîtrise à la perfection son art, je n’ai pas noté de très grands moments de mise en scène, à part peut-être ce très beau et long travelling arrière, allant d’un pallier jusqu’à l’extérieur en redescendant des escalier, faisant office d’ellipse lors du deuxième meurtre).

Le mélange des genres (policier, horreur, comédie) fonctionne plutôt bien mais m’a empêché d’adhérer totalement au film. C’est un très bon divertissement (c’est déjà beaucoup) mais il ne laisse pas les empreintes indélébiles de ses grands chefs-d’œuvre…

 

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