Les mots pour le pire
Les mots bleus (2005) d’Alain Corneau avec Sylvie Testud, Sergi Lopez
A l’inverse des mots du titre, Alain Corneau n’est plus un bleu et on ne peut pas dire que son film date de Mathusalem. Et bien, très sincèrement, je ne me souvenais absolument pas de l’existence de cette œuvre et je suis toujours incapable de me remémorer sa sortie en salles. C’est dire l’anonymat du machin, nouvel avatar de ce « ventre mou » du cinéma français où s’entassent une multitude de films sans personnalité, sans désir et sans mise en scène.
De quoi est-il question dans ces Mots bleus ? D’une fillette asociale qui a décidé un jour de ne plus prononcer un mot. Pour tenter de l’aider, sa courageuse mère (la toujours impeccable Sylvie Testud) qui l’a élevée seule la confie à une école spécialisée dans l’enseignement pour sourd et muet. Grâce aux bons soins d’un instituteur fôôôrmidable (Sergi Lopez), la petite et sa mère vont pouvoir revivre…
Dès qu’on a compris l’enjeu du film (au bout de cinq minutes), on sait pertinemment qu’il se terminera par le visage en larmes de la mère devant sa fille qui aura enfin prononcé ses premiers mots . Il ne s’agit pas d’être devin mais tout est tellement convenu et fabriqué dans ce film qu’on devine les scènes dix minutes avant qu’elles n’arrivent. Il n’y a pas la moindre larmichette de cinéma ! C’est du téléfilm dans toute son horreur : litanie de champs/contrechamps (yeark ! l’interminable dîner entre le couple vedette), une utilisation de l’échelle de plan qui se limite en majeure partie à d’anonymes gros plans, un montage anémié entièrement centré autour des dialogues (on change de plan lorsqu’un autre personnage se met à parler).
Sur le fond, le film ne dépasse pas les plus traditionnelles banalités psychologiques (la petite est « étouffée » par sa mère qui souffre elle-même d’un trauma venu de l’enfance) et dégouline de bons sentiments. J’ai rarement vu œuvre aussi mièvre : jamais Corneau ne quitte cette tonalité mi-pleurnicharde, mi-optimiste qu’il adopte dès le départ. C’est d’une monotonie à toute épreuve et jamais une petite aspérité ne pointe le bout de son nez.
On va parler de « cinéma poétique » (c’est du moins ce qu’a fait Pierre Zéni, l’ouvreuse appointée par la chaîne câblée !) mais de quelle poésie parle t’on ? La poésie, elle doit surgir d’une mise en scène, d’un point de vue artistique, d’un regard habité… C’est peu dire que les mots bleus sont totalement dépourvus de ce regard. Corneau se contente d’accumuler un « capital poétique » pour en obtenir un rendement immédiat : les beaux yeux tristes d’une fillette malheureuse, c’est immédiatement gage d’émotion facile, tout comme filmer un oiseau est gage de poésie ! C’est en ce sens que je dis que le film est « fabriqué » : l’émotion est soutirée par des clichés totalement artificiels. De la même manière, on sait pertinemment, dès sa première apparition, que la bonhomie onctueuse de Sergi Lopez sera gage d’un flot de bons sentiments et de tendresse amusée.
Oui ! Je sais, Monsieur Leconte ! Voilà le prototype de l’ « objet gentil » sur lequel il faut vraiment être sans cœur pour taper dessus ! Oui, Alain Corneau est un type franchement sympathique (le temps de Série noire est quand même loin !) et ça ne m’amuse pas de démolir un film que je veux bien croire sincère et joué avec conviction.
D’un autre côté, tous ces cinéastes que je regroupe sous le terme de « ventre mou » (les Corneau, Fontaine, Harel, Vernoux, Jolivet, Lioret, Le Guay et consorts) semblent avoir totalement déserté ce fameux « centre » d’un cinéma français déchiré désormais entre les grosses productions tapageuses pour trisomiques (des bessoneries aux michaelyouneries) et un cinéma d’auteur autoproclamé tel qui ne se contente désormais plus que d’exhiber une « griffe » (Audiard, Honoré, Ozon, Larrieu et nombreux consorts).
Où sont les vrais artistes dans ce champ de bataille dévasté ?