Meurtre mal assumé
Les contes de Terremer (2006) de Goro Miyazaki
Même le plus borné des huissiers de justice serait capable, en découvrant les contes de Terremer, de reconnaître dans ce film un conte freudien. Jugez plutôt : le prince Arren, jeune homme de 17 ans commence par tuer son père avant de s’élancer, en compagnie du magicien Epervier, sur les chemins tortueux de la vie. Meurtre du père, pulsions de mort…, l’adolescent passera par ces divers stades avant d’accepter l’idée de sa propre fin et en finir avec sa peur de vivre. Sans jouer les psychanalystes de buvette (je laisse ça à l’immonde Gérard Miller !), notre huissier parviendra sans peine à déceler des symboles sexuels dans ce sabre que le jeune homme doit apprendre à manier et qui lui permettra de vivre une extase toute métaphorique avec la jeune fille qu’il rencontrera…
Tout cela est peut-être un brin trop transparent mais après tout, filmer un fils qui tue son père est intéressant, surtout lorsqu’on s’appelle Miyazaki et que l’on a pour père l’un des plus grands génies de l’animation de tous les temps. Le problème de ce premier long métrage se situe d’ailleurs là : Goro se montre incapable de tuer vraiment Hayao et tout dans ces Contes de Terremer fleure bon l’hommage respectueux et la filiation voyante : le graphisme est conforme à celui de papa, les thèmes également (les menaces que l’homme fait peser sur les grands équilibres de la planète, un doux écologisme teinté d’animisme…). Rien de plus logique puisque le film est lui-même tiré d’une saga américaine d’heroïc-fantasy qu’Hayao Miyazaki avait adaptée en manga !
Le résultat est donc assez appliqué : les décors sont absolument somptueux et Goro Miyazaki nous offre de magnifiques plans de cités imaginaires et de paysages radieux. Doit-on d’ailleurs attribuer la réussite visuelle de ce film au seul cinéaste ou à l’ensemble des studios Ghibli dont l’œuvre sort ? Difficile à dire tant Miyazaki reste dans la tradition de ses glorieux aînés.
Niveau animation, j’ai trouvé le film un peu plus rigide que les chefs-d’œuvre du paternel. Est-ce des préjugés de ma part (qui n’y connaît pas grand-chose au genre !) ? Peut-être un peu mais c’est surtout, à mon sens, que les Contes de Terremer est une œuvre beaucoup moins foisonnante et moins baroque que le voyage de Chihiro ou le château ambulant. Ca reste assez classique, parfois même un peu terne et mis à part ces moments où l’affreux magicien se transforme en magma informe, nous sommes assez loin de l’inventivité visuelle de Miyazaki père.
Qu’on ne se méprenne pas : le film est tout à fait agréable à regarder : le récit, malgré quelques baisses de régime, avance allègrement ; les personnages sont plutôt fouillés et cet univers de conte initiatique reste séduisant. De plus, les Contes de Terremer prouve une nouvelle fois que les japonais sont les plus grands réalisateurs de films d’animation au monde, capable de signer des films s’adressant à la fois aux adultes et aux enfants, sans sombrer dans la niaiserie ou la mièvrerie.
Manque peut-être l’intensité des films de Takahata ou d’Hayao. Une fois la projection terminée, on reste un peu sur sa faim, avec l’impression d’avoir vu un exercice bien réalisé par un élève studieux mais peu impliqué. Il ne nous reste pas grand-chose de ce film lorsque les lumières se rallument…
Nous mettrons donc un 12 sur 20 à l’élève Goro : élève sérieux et doué mais un peu trop scolaire. Il va falloir désormais assimiler les leçons des maîtres et parvenir à nous offrir autre chose que cette copie appliquée et, finalement, un peu timorée…