Orlof et les classiques (X)
Le secret derrière la porte (1948) de Fritz Lang avec Joan Bennett, Michael Redgrave
PREMIER DISCIPLE : …rien à dire…
DEUXIEME DISCIPLE : …admirable, effectivement…
LE MAITRE : Eh bien ! C’est sans doute la première fois que je vous vois d’accord à ce point. Pouvez-vous me dire de qui parlez-vous avec une si belle unanimité ?
PREMIER et DEUXIEME DISCIPLE : de Fritz Lang !
LE MAITRE : Effectivement, c’est l’exemple même du cinéaste sur qui tout le monde tombe d’accord ! Et à part ergoter sur les mérites respectifs de sa période allemande et de sa période américaine, il ne reste qu’à s’incliner. Vous aviez cependant besoin de mes services ?
LE DEUXIEME DISCIPLE : Oui maître. En découvrant le secret derrière la porte (puisque c’est de ce film qu’il s’agit), nous nous posions une question très pragmatique : la psychanalyse est-elle soluble dans le cinéma ? En voyant ce film…
LE PREMIER DISCIPLE :…et en se rappelant de ceux d’Hitchcock…
LE DEUXIEME DISCIPLE : … nous avons supposé que « oui » mais nous aimerions avoir votre avis sur la question.
LE MAITRE : Ah ! Ah ! Question intéressante mais je vous sens un brin sceptique…Quelque chose vous a gêné dans le secret derrière la porte ?
LE PREMIER DISCIPLE : pour être franc, nous n’arrivons pas à avoir un avis tranché : d’un côté, nous trouvons que la dimension psychanalytique alourdit un peu le récit…
LE DEUXIEME DISCIPLE : …qui, finalement, n’est qu’un long drame psychique au bout duquel le héros parvient à remonter jusqu’à l’origine de sa névrose et la guérir…
LE PREMIER DISCIPLE : …mais d’un autre côté, ça fonctionne parfaitement et sitôt qu’on accepte l’idée de ce déterminisme un peu plaqué (parce qu’il a vécu telle scène dans son enfance, le héros se comporte ainsi…), on est captivé par cette plongée dans un inconscient trouble…
LE MAITRE : mes petits amis, vous avez décelé exactement le genre de risque que peut faire courir au cinéma l’introduction de la psychanalyse. Non pas que cette « science » soit incompatible avec le septième art mais, si on y réfléchit bien, elle le place tout de suite du côté du scénario…
LE DEUXIEME DISCIPLE : quelque chose de déjà écrit, qui introduit dans un récit un déterminisme irréversible et finalement un peu plaqué…
LE MAITRE : Exactement ! Sauf que Fritz Lang utilise ce scénario psychanalytique et en fait autre chose…
LE PREMIER et le DEUXIEME DISCIPLE : …Grâce à la mise en scène !
LE MAITRE : Je ne sais si je dois me réjouir de votre assiduité à mes modestes prêches ou considérer que vous me faîtes comprendre que je rabâche ! Toujours est-il que c’est exactement ça. Admirez le plan d’ouverture du film : la voix-off un peu fatiguée de Joan Bennett et cette caméra qui glisse sur un plan d’eau où s’agite en profondeur une étrange faune aquatique…C’est la caméra et non « l’histoire » qui nous plonge dans les eaux troubles de l’inconscient. Tout le film sera de cette teneur : la mise en scène n’illustre pas le scénario mais parvient à créer un espace qui figure parfaitement l’univers mental de Mark (M.Redgrave)…
LE PREMIER DISCIPLE : Ah oui, cette collection qu’il fait de chambres à coucher ! Toutes ont vu se dérouler un meurtre en leur sein…
LE MAITRE : Idée fabuleuse que cette collection ! En ne filmant que des chambres, Lang parvient à nous faire ressentir les méandres d’un esprit malade où s’agitent les plus sombres pulsions. N’avez-vous pas trouvé admirable la séquence où la jeune épouse découvre la fameuse chambre « interdite » ? La manière dont Lang joue avec l’espace et la lumière pour prendre à la gorge son spectateur ?
LE DEUXIEME DISCIPLE : Si ! C’est absolument génial et il parvient à nous désorienter ! La maison semble devenir de plus en plus mystérieuse et de plus en plus vaste à mesure que le soupçon se porte sur Mark. Parfois, le film m’a fait penser au Lost Highway de Lynch dans cette façon de jouer sur une topographie fluctuante…
LE PREMIER DISCIPLE : Moi, j’ai plutôt pensé à Hitchcock, notamment au beau Soupçons…C’est le même thème : celui d’une femme qui épouse un homme et qui se rend compte qu’elle ne le connaît pas. Derrière le masque de l’honnête mari se cache-t-il un assassin ?
LE MAITRE : Mais les deux ne sont pas incompatibles : Lynch est un cinéaste hitchcockien !
LE DEUXIEME DISCIPLE : Oui et ce qui est amusant, c’est qu’on a le sentiment que Lang a beaucoup regardé du côté d’Hitchcock qui, en retour, se souviendra de ce film lorsqu’il réalisera bien plus tard Psychose…
LE MAITRE : c’est vrai qu’on retrouvera cette même manière de faire de l’espace clos d’une maison une projection d’un cerveau névrosé ! Lang ne cherche pas à montrer la figure de la mère (comme le fera Hitchcock) mais elle est effectivement omniprésente dans les deux œuvres…
LE PREMIER DISCIPLE : Nous n’allons peut-être pas en dire plus pour ménager les spectateurs qui n’ont pas vu le film et qui auront la chance de le découvrir…
LE MAITRE : Tu as raison ! Contentons-nous de recommander chaleureusement l’œuvre de Fritz Lang en guise de conclusion et allons profiter de ce beau mois d’avril… Nous reparlerons cinéma quand vous ne serez pas d’accord et que ça mettra un peu de piquant dans la conversation…
À suivre…