Très bien, merci (2007) d’Emmanuelle Cuau avec Gilbert Melki, Sandrine Kiberlain

 

Vous avouerai-je que j’ai bien cru m’être fait berner une fois de plus ? Emoustillé par les bonnes critiques, je me suis rendu sans appréhension dans les salles pour découvrir le nouveau film d’Emmanuelle Cuau (le précédent Circuit Carole, que je n’ai pas vu, remonte à 1995). Or les premières images m’ont effrayé : photo grisâtre, platitude du quotidien, mise en scène terne…Je pressentis alors une énième « comédie d’auteur » pas drôle et vaguement dépressive et m’apprêtai à jeter Cuau aux ordures avec tous les autres navets ayant déferlé ces dernières années sur nos écrans, qu’ils soient signés Honoré, Fillières, Dubroux, Larrieu, Bonitzer ou Roüan. C’est désormais physiologique : je ne peux plus supporter ce genre de films !

Mais lorsque Alex (Gilbert Melki) se fait contrôler dans le métro au début du film, un plan m’a marqué. Emmanuelle Cuau utilise une large focale qui lui permet de faire le point sur notre « héros » stressé et de laisser dans le flou les trois contrôleurs un peu trop zélés. Quelque chose d’inquiétant se devine à travers ce plan : l’idée d’un pouvoir abstrait et flou qui s’exerce sur nos existences de manière de plus en plus arbitraire.

A mesure que le film progresse et entraîne dans sa logique absurde le pauvre Alex (j’ai songé au roman de Philippe Jaenada le chameau sauvage), nous comprenons alors ce qu’a voulu réaliser la cinéaste : une fable sur notre monde moderne, quelque chose qui ne passe pas par la psychologie mais par un enchaînement de faits permettant de témoigner assez lucidement des lois absurdes qui régissent désormais nos sociétés.

D’aucuns ont déjà parlé de conte kafkaïen et je pense que le terme reviendra désormais dans chaque article que vous lirez sur ce film. Il est vrai qu’en décrivant le parcours d’un modeste employé (Alex est comptable et sa femme, chauffeur de taxi) pris dans les rouages infernaux des décisions arbitraires de l’administration, on ne peut s’empêcher de penser au grand écrivain tchèque.

L’humour du film vient de cette disproportion entre un point de départ anodin (Alex observe des policiers effectuer un contrôle de papiers) et la réaction en chaîne qui s’ensuit. Voilà notre homme qui, pour avoir refusé de circuler, se retrouve une nuit en garde à vue puis transféré dans un hôpital psychiatrique.

Société de contrôle, décisions arbitraires du pouvoir, rouages administratifs sans fin…Emmanuelle Cuau parvient, sans avoir l’air d’y toucher, à nous offrir quelques notations très justes sur nos sociétés contemporaines. Alex et Béatrice (Sandrine Kiberlain) se heurtent sans arrêt à des murs, à des individus qui obéissent à des gens qu’on ne voit jamais (commissariat sans commissaire, hôpitaux sans médecin…), à des formulaires qui décident de leurs existences…De la même manière, la mésaventure d’Alex lui vaudra un licenciement. Le film bifurque alors pour peindre une autre absurdité : celle du marché du travail. Là encore, on remarque ce paradoxe d’une société à la fois libérale, où le pouvoir s’est dilué (on pense parfois au récent Direktor de Lars Von Trier) et une société où le contrôle des individus ne s’est jamais autant manifesté. A cause de son âge et de son « dossier », Alex est grillé sur le marché du travail et ça nous vaut quelques savoureuses et sarcastiques scènes d’entretiens d’embauche. J’aime particulièrement ce moment où Alex, en réponse à un DRH con comme un manche (pléonasme !) lui demandant ce que quelqu’un comme lui comptait apporter à l’entreprise, lui rétorque du tac au tac « la question est plutôt de savoir ce que votre entreprise peut apporter à quelqu’un comme moi » ! C’est ce que tout esclave salarié devrait méditer en se rendant chaque matin au turbin !

Le film n’est pas dépourvu de ce type d’humour (ne vous attendez cependant pas à rire aux larmes !) et m’a fait penser à l’expression « humour gris » qu’employait je ne sais plus quel critique pour qualifier le cinéma de Ferreri. Toutes proportions gardées, on songe à certaines fables du maître italien (l’audience) devant Très bien, merci.

Malgré ses qualités, le film est un peu surestimé. N’allez pas croire qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre. Le plaisir qu’on y prend est surtout narratif et la mise en scène manque d’ampleur. Face à un tel sujet, il aurait fallu des partis pris formels plus affirmés. On sent que sur la fin, Cuau filme Melki d’un peu plus loin, qu’elle tente de le montrer comme un simple rouage d’une immense machine qui broie les individus. Mais ce n’est pas le procès de Welles : la réalisation reste un peu trop fonctionnelle, un peu insipide.

Ce côté un peu terne de la mise en scène est heureusement compensé par les comédiens. Sandrine Kiberlain est égale à elle-même, c'est-à-dire excellente (et toujours aussi séduisante !) ; mais c’est surtout Gilbert Melki qui tire son épingle du jeu. Cet homme peut tout jouer : il est à la fois désopilant et totalement émouvant. Sur son visage se lisent toutes les émotions que veut provoquer le film : l’effroi, l’ébahissement, l’inquiétude, l’incompréhension… C’est par le biais de son regard que se devine toute l’absurdité de notre monde que veut pointer Emmanuelle Cuau.  

Pour avoir choisi ce couple merveilleux, il sera beaucoup pardonné à la cinéaste et l’on finira même par pouvoir vous recommander Très bien, merci

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