Still life (2006) de Jia Zhang-Ke

 

Si vous lisez régulièrement les pages culturelles de vos magazines, vous avez sans doute remarqué que le film chinois dont il va être question ce soir est LE film à voir en ce moment. C’est amusant (ou déprimant selon les jours) de constater le conformisme d’une presse toujours unanime à porter au pinacle les mêmes films au même moment. Ce ne sont pas toujours de mauvais films (heureusement !) mais il serait très facile d’établir un planning à et de deviner à l’avance les nouveautés qui feront la une chez tous nos scribouillards. J’ai donc cédé à un certain instinct grégaire et suis allé jeter un œil à Still life, le nouveau film de Jia Zhang-Ke. A vrai dire, j’y suis allé aussi parce que j’avais assez aimé Xiao Wu, artisan pickpocket (son premier film) et surtout le très beau Plaisirs inconnus. J’ai manqué les autres et se présentait donc enfin l’occasion de renouer avec la nouvelle coqueluche des rédactions parisiennes.

Still life met en scène deux personnages dont les trajectoires vont se croiser à Fengje, petite ville partiellement engloutie par les eaux du fleuve depuis la construction du barrage (le plus grand au monde) des Trois Gorges. Un homme en marcel blanc vient tenter de retrouver sa femme et sa fille qu’il n’a pas vues depuis seize ans. Parallèlement, une jeune femme erre également en ces lieux pour renouer avec son mari, un homme d’affaires disparu depuis deux ans.

Lorsque j’ai vu cet homme introverti et fatigué déambuler dans les ruines de cette ville vouée à une disparition rapide, j’ai tout de suite songé à appeler ma notre « Fengje, ville ouverte ». C’est effectivement la référence à Rossellini et au néo-réalisme italien qui saute d’abord aux yeux. Et c’est d’ailleurs, disons le d’emblée, de cette dimension « documentaire » que le film tire l’essentielle de sa force. En utilisant ce décor assez sidérant (l’opposition entre une nature majestueuse et une civilisation humaine partant, c’est le cas de le dire, à vau-l’eau) et par l’ampleur de sa mise en scène (travellings élégants, vastes panoramiques…), le cinéaste parvient à inscrire son film, ses personnages au cœur de ce Réel dont il est parfois difficile de cerner les contours. Il ne s’agit pas pour Jia de développer des thèses sociologiques ou misérabilistes mais de se tenir, avec sa caméra, à la distance la plus juste (voir cet étrange mélange de flou et de proximité qui caractérise le travelling d’ouverture du film) pour pouvoir témoigner d’un état de la société et sauvegarder des traces d’un temps voué à disparaître.

Le spectacle de ces bâtiments qui s’effondrent, de ces ruines dans lesquelles déambulent les ouvriers est assez impressionnant. Sans avoir l’air d’y toucher, le cinéaste traduit parfaitement un certain désarroi chinois, d’un peuple coincé entre les ruines d’un passé pourtant proche (ce barrage, tous les gouvernements avaient souhaité sa construction) et un avenir incertain. Jia Zhang-Ke joue plutôt intelligemment sur les contrastes : aux affairistes et au spectacle grandiose du pont qui s’illumine s’opposent le développement des trafics en tout genre, les déplacements de population, la misère des ouvriers non indemnisés et une certaine déréliction du monde (le jeune homme qui ne vit qu’à travers l’image de son idole Chow Yun-Fat, les ouvriers qui se montrent leurs régions respectives via les images imprimées sur les billets de banque…) 

En évoquant ce monde en ruine, ces décombres,  Jia Zhang-Ke tente également de traduire ces bouleversements au cœur des individus et de leur intimité. C’est ce que j’appellerai la dimension « antonionienne » de Still life. Et c’est là, pour être franc, que j’estime que le bât blesse. Si je traduis abruptement ma pensée en vous disant que cette errance de deux personnages mutiques m’a paru un tantinet chiante, vous allez me dire que je ne fais pas de la critique et vous aurez parfaitement raison. Pourtant, c’est une question à laquelle je n’arrive pas à répondre et qui, me semble-t-il, relève de la plus pure subjectivité de chacun. Pourquoi l’incommunicabilité chez Tsai Ming-Liang me touche tant ? Pourquoi la solitude de ses personnages et leur douleur me sautent à la gueule et me bouleversent à ce point ? Difficile à dire dans la mesure où les films de Tsai ne sont pas moins «ardus» que ceux de Jia.

Peut-être que depuis l’Avventura d’Antonioni (film que je n’apprécie pas outre mesure, ô sacrilège !), ces déambulations imbibées d’existentialisme m’ont paru avoir un goût de déjà-vu. J’avoue avoir du mal à me l’expliquer mais toujours est-il que ces deux personnages m’ont plutôt laissé froid.

Reste alors le « décor » de ce film, ce sentiment d’ouverture sur le monde et cette manière que le cinéaste a de poser un regard juste sur ces mutations. Ces éléments méritent indéniablement le détour…

 

 

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