Un Chang Cheh très Chiang
Les cinq maîtres de Shaolin (1974) de Chang Cheh avec David Chiang
Quoi de plus nécessaire que les vertus cathartiques d’un bon film de kung-fu pour échapper à l’atmosphère de plus en plus nauséabonde de notre beau pays ? Quel répugnant spectacle que cette arrogance crasseuse qui s’étale sans vergogne sous nos yeux (entre parenthèse, les frais des petites vacances que s’accordent notre futur président correspondent à peu près à 10 ans de salaire d’un jeune prof. A part ça, ce sont eux, bien entendu, les fainéants et ce sont les fonctionnaires qui coûtent le plus d’argent à la nation ! Passons…) ou l’insolence de ces vieux débris milliardaires venant parader devant les caméras (Johnny, s’il te plaît, dégage ! Prends ta potiche lobotomisée et ne reviens jamais !). Comme en face (des commentaires haineux que continue d’inspirer le blog de Michel Onfray aux vieux apparatchiks du style Kouchner ou Strauss-Kahn déjà prêts à donner la patte au centre mou) la nullité est également de mise ; on rêve de la venue de disciples de Shaolin et à de fabuleux combats dantesques qui nettoieraient la place de tout ce bran !
Bref ! Tentons de rester optimiste (depuis ce matin me trotte dans la tête l’air de la chanson d’Eugène Pottier : « Tout ça n’empêche pas Nicolas, / Qu’la Commune n’est pas morte ! » (*)) et revenons au cinéma de Chang Cheh qui va nous donner l’occasion de revenir sur la « politique des auteurs ».
Ah ! Elle en a vu de belles, cette « politique » et il est de bon ton aujourd’hui de la remettre en question. L’époque trouve inadmissible qu’il y ait derrière un film un « artiste » (ouh le vilain mot !) et préfère le manufacturé, l’anonyme (les productions Besson, les films « de » Clavier, la télé-réalité…). Il est absolument faux de prétendre que le libéralisme engendre l’individualisme. L’égoïsme, peut-être, mais le libéralisme se méfie comme de la peste de l’Individu. Il veut du consommateur, du troupeau persuadé d’être original quand il opte pour le tatouage à l’épaule plutôt qu’à la fesse droite ! La liberté se résume à celle de choisir entre deux opérateurs téléphoniques et elle reste réservée à ceux qui ont les moyens de payer ! L’art, quand il n’est pas culture distribuée dans les rayons de la FNAC (cet « agitateur » si humaniste qui commence à licencier à tour de bras !), reste scandaleux. D’où ce désir d’en finir avec la notion d’auteur, de style, d’individualité pour remettre à l’honneur le bon cinéma de papa (du scénario, des dialogues « cultes », et de bons acteurs populaires).
Pourquoi vous raconté-je tout cela ? Je ne sais pas parce qu’en fait, je voulais également vous démontrer le contraire en pointant une des dérives de la « politique des auteurs » qui consiste à ériger n’importe qui, sous prétexte qu’il a réalisé un film intéressant, à ce statut tant convoité d’auteur (demandez aux critiques de Télérama : je suis sûr qu’ils sont persuadés que Tavernier, Michel Spinosa et Kenneth Brannagh sont des « auteurs », ne riez pas !)
Chang Cheh n’est pas un auteur. Il a réalisé au moins un beau film (la rage du tigre, je vous le recommande) mais ceux que j’ai vu par la suite ne témoignent d’aucun style particulier. Etre « auteur » ne signifie pas réussir tous ses films mais avoir un style, un univers et des thèmes récurrents (Jess Franco et Jean Rollin ont réalisé de sombres navets mais ce sont des « auteurs »). Ce n’est pas le cas, me semble t-il, de Chang Cheh.
Quand on découvre Les cinq maîtres de Shaolin, on ne voit rien d’autre qu’un film de série au manichéisme basique (la lutte des Hans contre les vilains envahisseurs Mandchous) et une enfilade de combats très emmerdants (il faut le reconnaître) où ne transperce jamais la moindre idée de mise en scène. De plus, Chang Cheh commet ici le plus impardonnable des crimes selon moi : réaliser un film sans la moindre femme (même pas une figurante !). Si l’inverse me sied parfaitement (le très beau Women de Cukor, sans le moindre homme), cette configuration là me déplait et m’ennuie à mourir.
N’oublions pas que le cinéma doit rester le lieu pour « faire faire de jolies choses à de jolies femmes » !
Rajout : Après avoir écrit cette note, j'ai fait le tour de mes blogs préférés et je suis tombé sur ceci chez Vincent. La coïncidence est trop belle : allez, faite tourner la chanson!