Eloge du vice
Love and passion (1987) de Tinto Brass
Hier, j’ai été convoqué par le grand patron. J’ai tout de suite pressenti la rodomontade : trop d’allusions à l’actualité récente, trop de vilains sarcasmes à l’égard du nouveau pouvoir en place. Irait-il jusqu’à menacer ma place ? Son accueil fut plutôt glacial :
« -Dites-moi, mon ami » (je ne suis pas votre ami !), « vous savez qu’il faut savoir s’adapter à son temps et aux nouvelles valeurs qui sont dans l’air » (j’en était sûr !)
« -Oui, patron… »
« Vous savez ce que sont ces valeurs remises au goût du jour, j’espère ? »
« Euh, le travail ?... » me risquai-je…
« Non ! ça c’est le genre de truc impossible à évaluer et juste un slogan démagogique pour attraper le gogo. On dit que la France est le pays où on travaille le moins en Europe ! N’importe quoi ! Tenez vous, je suis sûr qu’avec les deux blogs que vous alimentez régulièrement en plus de votre gagne-pain « officiel », vous travaillez plus que les trois quarts des députés ronflants sur les bancs de l’assemblée nationale. Ce n’est pas de cela dont je me plains… »
« ??? » (Où veut-il en venir ?)
« La concurrence, mon petit vieux ! »
« Pardon ? »
« Oui ! Sachez que désormais, la compétition va être de plus en plus acharnée il va falloir bien se tenir si vous ne voulez pas être laminé… »
« Ah, vous allez me refaire un laïus sur mes notes pas assez « populaires », consacrées à des films trop pointus… »
« Même pas ! Je vous reproche de n’être pas assez réactif. Autrefois, vous aviez un certain leadership sur le marché de la critique du film de fesses. Bonne niche (je parle économie, bien entendu !), secteur porteur et excellent retours sur investissements. Or je vois que vous n’avez pas consacré de note à un film érotique depuis belle lurette… »
« J’avais peur de ternir mon image et de perdre en route mon lectorat féminin »
« Fi donc ! Prenez l’exemple du film Destricted sorti récemment : la concurrence n’a pas eu vos scrupules et s’est ruée sur l’occasion pour pondre de très beaux papiers ! Allez voir chez Devo et Vincent…. »
« Mais le film n’est pas sorti chez moi !... »
« Pas d’excuses ! Les chaînes câblées diffusent au moins un porno tous les soirs et pas mal de films érotiques. Vous n’avez que l’embarras du choix… »
« Vous appelez ça un choix ! Tous se ressemblent à un tel point qu’on croirait assister à un deuxième tour d’élection présidentielle ! »
« Ne faîtes pas de mauvais esprit et au boulot ! »
C’est ainsi que je me décidai, sur les traces de l’illustre Albert Paraz, à refonder la ligue pour la défense du Vice (qui en a bien besoin en ces jours tourmentés !)…
« N’en faites pas trop, Orlof ! »
… et me retrouvai à regarder Love and passion du toujours intéressant Tinto Brass. Pour avoir réalisé ces beaux films que sont Caligula et la clé, notre érotomane transalpin conservera toujours notre affection. Love and passion n’est évidemment pas de ce niveau là mais malgré ses nombreux défauts, il se laisse regarder sans réel déplaisir.
Commençons par les mauvais côtés : un scénario rachitique qui se contente de suivre les aventures extraconjugales d’un couple américain revenu en Italie (madame se tape un gigolo tandis que monsieur renoue avec sa plantureuse ex) avant de célébrer très moralement le retour au bercail des deux tourtereaux, une mise en scène rarement inspirée et desservie par une photographie assez laide dans son côté léché (solarisation des plans, esthétiques rétro-hamiltonienne…), des acteurs assez calamiteux (si les actrices compensent par leurs charmes leur jeu limité, les comédiens restent sans arrêt aussi expressifs que des asperges moites) …
Bref, les ingrédients sont là pour que se profile un anonyme nanar estampillé case regrettée du dimanche soir sur M6.
Mais voilà, derrière la caméra, il y a Tinto Brass. Et même s’il ne fait pas preuve ici de son grand talent pour les fastes baroques (tout au plus peut-on noter quelques jeux de miroirs assez gourmands), il y a toujours chez lui ce plaisir de filmer les femmes qui suinte à chaque plan. Bien sûr, on reste dans le lieu commun (le vent ou des danses qui soulèvent les robes et dévoilent d’affriolants dessous sexy) mais à l’heure où le cinéma porno est de plus en plus formaté et aseptisé ; cela rend heureux de suivre les volutes d’une caméra amoureuse des chairs qu’elle dévoile ; de voir sous toutes les coutures des actrices splendides qui ressemblent à des femmes et non à des produits reconstitués sortant de l’usine ! Tout en ne franchissant jamais la barrière de la pornographie, Brass se permet quelques plans superbement impudiques, comme ce moment où l’américaine presse un citron au-dessus de son intimité filmée plein cadre et demande à son amant de venir lui manger son oursin (je sais, c’est aussi léger que la matraque d’un CRS défonçant le crâne d’honnêtes manifestants mais la scène prend plus de saveur -si j’ose dire !-quand on sait que le couple mangeait jusque alors des fruits de mer…)
« Orlof, vous passerez me voir à mon bureau ! Je vous ai demandé du leste, du sexy, de l’égrillard, du rabelaisien mais pas un sketch de Bigard ! »
« OK, boss ! Je termine ! »
Bref, Brass consomme en amateur averti ces chairs exhibées en toute impudeur, ces fesses appétissantes (« on se calme » !), ces divines poitrines et nous fait partager son plaisir. C’est quand même gentil de sa part et il n’y a aucune raison de se priver d’un tel festin.
Honni soit qui mal y pense…