Une vieille maîtresse (2007) de Catherine Breillat avec Asia Argento, Fu’ad Ait Aattou, Roxane Mesquida, Claude Sarraute, Yolande Moreau, Michael Lonsdale

 

Des films de Catherine Breillat, il a souvent été écrit qu’ils représentaient un parfait exemple de « cinéma cru », par opposition aux sentiers balisés du cinéma cuit « à la française ». Même si la cinéaste s’est parfois un peu égarée dans un cinéma trop théorique (Anatomie de l’enfer), j’avoue avoir un faible pour ses plats relevés, cette manière qu’elle a de saisir à bras le corps la crudité du désir, des corps et des pulsions ; sa façon de s’inscrire dans un courant quasi naturaliste du cinéma et de porter un regard sans concession sur la France contemporaine (les campings de 36 fillette, le sidérant final, du côté du fait divers, d’A ma sœur…) tout en parvenant à styliser ses mises en scène (les expérimentations d’Une vraie jeune fille, le blanc clinique de Romance…)

Or voilà que pour son 11ème long-métrage, la sulfureuse Breillat décide d’adapter le grand Barbey d’Aurevilly et de se confronter au genre le plus propice aux navets tout cuits : le film à costumes. Qu’allait-il rester de son regard singulier dans cette plongée dans le 19ème siècle et allait-elle parvenir à s’en tirer aussi magistralement que Rivette avec Balzac ?

Pour être franc, le début m’a un peu effrayé. Oh ! Ce n’est pas désagréable de voir le couple improbable Lonsdale/ Moreau se délecter du parlé précieux de la Restauration et de contempler une belle photo qui parvient à mettre en valeur une reconstitution assez réussie. Mais c’est ce que l’on appelle du cinéma « cuit » : système narratif classique (qui doit suivre très fidèlement la construction de Barbey), champ/contrechamp avec, évidemment, l’objectif fixé sur celui qui parle, montage insignifiant : c’est l’académisme le plus poussiéreux qui pointe le bout de son nez et c’est sur cette première impression que s’arrêteront les critiques paresseux (du style Pierre Murat de Télérama qui, par ailleurs, défend ardemment le dernier navet d’Ozon qui représente, pour le coup, la quintessence de l’académisme).

Pourtant, si l’on écarte cette croûte un peu brûlée (je file ma métaphore culinaire jusqu’au bout, pardonnez-moi !) ; on arrive au cœur du film et celui-ci reste « cru » pour ne pas dire saignant. Car il y aura du sang dans Une vieille maîtresse, comme dans cette très belle scène où la Vellini (Asia Argento) vient lécher la blessure sanguinolente de celui qui vient de se mesurer en duel avec son mari et qui deviendra par la suite son amant. L’image est assez saisissante et fait de cette héroïne excentrique (une courtisane mi-espagnole, mi-italienne qui scandalise Paris par ses frasques amoureuses) un véritable vampire. Plusieurs fois elle infligera des blessures à son amant et se régalera de son sang, symbole d’une possession qui le fait retomber à chaque fois entre ses bras, même s’il a désormais décidé d’être fidèle à la diaphane Hermangarde (Roxane Mesquida) qu’il a épousée.

Il est finalement assez rare de voir chez Breillat une femme avec un tel pouvoir érotique. Ses héroïnes sont, habituellement, des ingénues ou des femmes fragiles qui s’abandonnent dans les bras d’hommes virils et brutaux. Le plaisir, chez elles, vient de cet abandon et de cette extrême soumission qui, paradoxalement, leur permet d’accomplir leur féminité. D’une certaine manière, Hermangarde s’inscrit dans cette lignée même si elle ne mettra pas en place de stratégies amoureuses pour conserver un mari auquel elle se donne immédiatement.

Car comme chez Laclos (même si le jeu est moins cruel), l’amour et la passion se gagnent par des stratagèmes. C’est en feignant l’indifférence et même le mépris que la Vellini attire Ryno de Marigny dans ses bras. Une fois le venin de la passion inoculé dans les veines de cet amant, elle a gagné et n’a plus qu’à s’absenter pour le faire revenir, sachant que le désir est d’autant plus vif lorsque son objet se dérobe.

Alors que le cinéma de Breillat était surtout centré sur la quête du plaisir féminin (une manière de réconcilier un corps et une tête formatée par une société patriarcale chez ses héroïnes), Une vieille maîtresse marche davantage sur le terrain du désir mais reste dans la même logique : la femme fait mine de se soumettre pour garder le contrôle des manœuvres amoureuses.

La nouvelle dimension qu’apporte la cinéaste, c’est celle de la séduction. Rarement on aura vu une héroïne aussi sensuelle chez elle (la première apparition d’Asia Argento m’a rappelé la peinture de Klimt). C’est la femme fatale qui vampirise le petit jeune homme (là encore, Fu’ad Ait Aattou est à l’opposé des machos à la Grégoire Collin ou Rocco Siffredi) et qui déstabilise l’ordre établi par son pouvoir de séduction. L’actrice, qui en rajoute dans le côté félin, est parfaite.

En ce concentrant sur ce rapport passionnel, Breillat retrouve la force de ses films précédents dans cette manière de filmer le plaisir sur le visage, de capter les corps dans l’étreinte (son film est néanmoins beaucoup plus chaste que les précédents), de laisser tourner sa caméra un peu plus longtemps que les autres cinéastes lorsqu’il s’agit d’appréhender le désir et le sexe.

Le montage, qui paraissait dans un premier temps un brin indigent, confère par la suite une sorte de sécheresse à la mise en scène (voir les très belles scènes « algériennes », cruelles et implacables).

 

En abordant une adaptation littéraire et en transposant ses thèmes de prédilection dans un siècle antérieur, je me demande si Catherine Breillat n’a pas souhaité clore une époque. On a le sentiment qu’elle semble faire le bilan de 30 ans (déjà !) de cinéma. A ce titre, elle convoque dans Une vieille maîtresse toutes les actrices qui ont incarné ses héroïnes ces dernières années le temps d’un passage éclair : Amira Casar (Anatomie de l’enfer), Anne Parillaud (Sex is comedy), Roxane Mesquida (A ma sœur, la seule qui ait un rôle plus conséquent), Caroline Ducey (Romance), Isabelle Renauld (Parfait amour !) et même Lio (Sale comme un ange). Au-delà du clin d’œil (nous ne sommes pas chez Honoré !), la cinéaste semble vouloir revenir une dernière fois sur cette période en lui donnant un cachet d’éternité (en inscrivant ses obsessions dans le cadre d’une époque révolue et de la grande littérature).

Ce cachet bride parfois un peu la force tellurique de son cinéma et le fige un peu. Mais il permet également d’envisager une suite que nous souhaitons tout aussi passionnante et qu’il nous tarde de découvrir…

 

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