Un condamné à mort s’est échappé (1956) de Robert Bresson avec François Leterrier

 

Pendant l’Occupation, un jeune lieutenant (Fontaine) est arrêté par la gestapo et incarcéré. Bresson restitue (« sans ornements », précise t-il au générique) à l’écran ce récit véridique et s’attache aux moindres gestes de cet homme qui, comme l’indique le titre, va entreprendre de lutter (souvenons-nous des derniers mots des Dames du bois de Boulogne) et de s’évader pour échapper à son destin (une condamnation à mort).

Résumé de cette manière, le film à de quoi faire fuir : un programme narratif contenu dans son titre, une adaptation qui pourrait n’être qu’une illustration puisque l’essentiel des mots prononcés dans ce film le sont par une voix-off…

Et pourtant, tout fonctionne et Un condamné à mort s’est échappé devient assez rapidement captivant. C’est avec ce film que Bresson rompt une fois pour toute avec le cinéma traditionnel et même avec son œuvre précédente. Dès les premiers plans (sur une main qui tente d’ouvrir une poignée de portière de voiture), nous sommes dans un univers stylisé et quasiment abstrait qui annonce la plénitude d’un art que le cinéaste atteindra avec Pickpocket.

Faut-il rappeler les caractéristiques de ce style, au risque d’enfoncer de nouvelles portes ouvertes ? Allons-y : ascèse de la mise en scène, descriptions minutieuses du moindre geste, dépouillement des décors, voix blanches des comédiens…

Le montage, très sec, accentue la rigueur de la mise en scène en privilégiant une certaine forme d’action au dépend de la psychologie (bon, « action » ne veut pas dire ici sauter d’un hélicoptère en feu mais tresser minutieusement une corde solide ou parvenir à ôter les pans en bois d’une porte).

Même cette voix-off, qui est souvent utilisée comme une facilité par les cinéastes incapables de penser en terme visuel, est ici un pur élément plastique et s’intègre parfaitement à un univers sonore très travaillé. Bresson se concentre sur un point de vue unique : celui de Fontaine. La voix-off devient alors une parfaite incarnation de ce monologue intérieur auquel n’échappent pas les prisonniers (je vous renvoie, par exemple, au Joueur d’échecs de Stefan Zweig). Dans cet univers clos de la prison (parfaitement rendu par la stylisation de Bresson : une cellule dépouillée, des murs nus, quelques gardiens sans visage…), le dialogue avec autrui reste prohibé (ou nécessite certains stratagèmes) et c’est donc en toute logique que la voix intérieure l’emporte. Idem pour les bruits environnants qui prennent une ampleur incroyable (le son métallique d’une clé sur une rampe annonçant l’arrivée du gardien, le bruit des pas sur le gravier risquant de faire arrêter les prisonniers pendant leur évasion…).

Pour renforcer ce point de vue unique auquel Bresson veut se tenir, la mise en scène joue à merveille de l’espace (le prisonnier d’en face, pris dans la profondeur de champ) et utilise au maximum l’expressivité du hors champ. C’est ainsi que nous ne verrons quasiment jamais le personnel de la prison, si ce n’est quelques vagues uniformes donnant des ordres.

L’occupant devient ici une entité abstraite mais toujours présente (coups de feu lointains et effrayants, voix allemandes…), permettant au cinéaste de créer une tension continue. Fontaine est sous le coup de cette pression : il ne sait pas ce qu’il adviendra de son sort, si ses stratagèmes seront découverts, s’il sera transféré…Même si le titre du film annonce d’emblée la couleur du dénouement, Bresson parvient à transmettre l’angoisse au présent de son prisonnier. Pour se faire (outre cette omniprésence d’un hors champ menaçant), il suit au plus près et de manière concrète le quotidien de Fontaine : passer trois semaines sur une porte avec pour seul outil une cuillère, tresser des cordes, fabriquer des crochets…

Tous ces gestes banals acquièrent ici une force qui doit à leur urgence. Le rendu est assez impressionnant.

Alors bien sûr, les exégètes du cinéaste noteront la dimension spirituelle de ce chemin qui mène du désespoir à la délivrance. Comme le souligne le sous-titre religieux du film : «  le vent souffle où il veut », aspect que corrobore d’ailleurs la musique sacrée de Mozart. Mais au-delà de cet aspect, Un condamné à mort s’est échappé séduit par la force brute d’une mise en scène stylisée qui  donne à cet itinéraire une ampleur au souffle large.

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