Rencontre avec le dragon
Le sixième sens (Manhunter) (1986) de Michael Mann avec William Petersen
Attention ! Ce Sixième sens n’est pas celui réalisé par Shyamalan et vous ne trouverez ici ni petit garçon voyant des fantômes, ni de Bruce Willis se rendant compte à la fin du film qu’il est mort ! Il s’agit ici d’un thriller de Michael Mann (dont j’ai déjà dit du mal en chroniquant le médiocre Collateral) et de la première apparition à l’écran du cannibale Hannibal Lecter.
Ne faisons pas durer le suspense : je n’aime pas beaucoup ce film mais il va nous donner l’occasion, une fois de plus, de faire le distinguo entre le scénario et la mise en scène adoptée pour faire vivre un récit, lui donner une épaisseur à l’écran.
Manhunter est une adaptation du roman Dragon rouge de Thomas Harris. Je n’ai pas lu le livre mais je pense qu’il doit être plutôt bon, les amateurs de polars me démentiront ou me le confirmeront. Parce que si le film a une qualité, c’est de posséder une bonne architecture dramatique. Pour démasquer un tueur psychopathe qui décime des familles les jours de pleine lune, les services de la police ont recours à un ancien collègue démissionnaire dont les méthodes consistent à se mettre dans la peau du tueur pour comprendre son raisonnement.
Pour se faire, il rend visite en prison au terrible Hannibal Lecter qu’il a contribué, autrefois, à faire arrêter…
Outre que les révélations successives de l’enquête policière sont efficacement agencées, cette histoire a le mérite, sur le papier, de présenter des personnages ambigus : le tueur n’est pas un être radicalement différent mais quelqu’un à qui un policier peut s’identifier jusqu’à succomber aux mêmes vertiges.
Malheureusement, toutes ces promesses ne sont pas tenues lorsqu’il s’agit de leur donner une forme cinématographique. Manhunter et ses vingt petites années apparaît aujourd’hui comme un film très daté. Pas forcément « vieillot » mais vérolé par les tics de cette atroce décennie que furent les années 80.
Ca commence par une bande-son abominable, saturée de nappes de musiques synthétiques et de morceaux chantés à la Genesis (ça situe le niveau !). Puis c’est cette photo d’une grande laideur où Mann abuse de ses fameux filtres bleutés, qui, esthétiquement, situe l’œuvre quelque part entre les séries télévisées de l’époque (Miami vice, forcément) et les horreurs à la Jean-Jacques Beineix.
Si l’on suit le film sans ennui (il faut être franc !) lorsque le scénario se concentre sur la pure résolution de l’intrigue, on sombre par contre dans une immense torpeur lors des digressions narratives que Mann se montre incapable d’incarner à l’écran. C’est ce moment parfaitement ridicule et kitsch de l’idylle amoureuse entre le tueur et la jolie aveugle (aucun cliché ne nous sera épargné, jusqu’au contre-jour sur la plage au petit matin !). C’est la relation de l’enquêteur avec sa femme et son fils (le dialogue père/fils dans le supermarché est aussi un grand moment de n’importe quoi, d’autant plus que le gamin est un épouvantable comédien).
Du coup, même l’ambiguïté perçue « sur le papier » a du mal à passer. Symptomatiquement, lorsque notre héros s’apitoie un instant sur le sort du monstre et de sa probable enfance difficile ; il précise immédiatement que l’adulte qui tue mérite d’être abattu sans la moindre pitié. Alors que la frontière entre le Bien et le Mal devrait chez lui, comme chez le Lloyd Hopkins de James Ellroy, s’estomper ; le cinéaste se dépêche de clarifier les choses et de montrer que son héros reste parfaitement sain.
Est-ce que ce manque d’ambiguïté vient aussi d’une distribution que je trouve particulièrement fadasse (à l’exception de l’acteur qui incarne Hannibal et dont Hopkins s’inspirera lorsqu’il tournera Le silence des agneaux) ? C’est possible…
Toujours est-il que Manhunter donne le sentiment d’un beau sujet gâché par une mise en scène chichiteuse et datée, incapable de donner une ampleur à cette confrontation entre un homme et le Mal absolu que représente ce « dragon rouge »…