Le deal (2006) de Jean-Pierre Mocky avec Jean-Claude Dreyfus, Jackie Berroyer, Jean-François Stévenin, Dominique Zardi, Alison Arngrim, Renaud

 

 Les aimables internautes qui me font l’honneur de me lire régulièrement n’ignorent plus mon penchant coupable pour le cinéma déjanté de Jean-Pierre Mocky. Pourtant, parmi tous les cinéastes que j’affectionne, celui-ci est sans doute le seul dont je serais incapable de vous citer la filmographie récente. C’est de notoriété publique, Mocky ne cesse de tourner à un rythme démentiel mais ses films ne sont plus distribués ni vus par la critique. Du coup, j’ai été estomaqué, en consultant un livre sur le maître, de constater l’incroyable nombre d’œuvres dont je n’avais jamais (ou presque) entendu parler ! Soyez honnête : qui d’entre-vous a vu Le glandeur ou les araignées de la nuit ? Qui connaît le furet ou Grabuge ? 

Sur le papier, ces films « inconnus » sont pourtant alléchants par les thèmes abordés : le tourisme de masse (Touristes ? Oh yes !), la pédophilie (les ballets écarlates) ou l’humanitaire (le bénévole). Traités par Mocky, ça doit décaper !

Le deal, avant-dernier film du cinéaste en date, nous amène à poser très sérieusement l’hypothèse de Mocky cinéaste de séries Z.

On fleure ici le grand n’importe quoi : moyens dérisoires, photographie assez laide, post-synchronisation pas toujours au point, intrigue totalement invraisemblable… Et pourtant, ça passe ! Le mélange d’énergie et de croyance absolue dans le cinéma fait que Mocky parvient à nous faire adhérer à son histoire abracadabrante.

Jugez plutôt : Le PDG et député Radius (Dreyfus) se dispute avec sa maîtresse qui le menace d’un revolver. En cherchant à se défendre, il envoie la jeune femme à l’eau. Sur les lieux du crime traînait un photographe amateur (Stévenin) qui va proposer un « deal » à Radius : il sera son alibi en échange de son appartement. Les péripéties et les morts s’enchaînent de la manière la plus délirante qui soit et ils obligent Radius à chercher de nouveaux alibis…

Rien que pour ce défilé d’alibis, le film mérite d’être vu : clochard muet, chômeur parlant à peine le français, femme de ménage enrobée et sexy… Le cinéaste choisit l’ « hénaurmité » et les personnages les moins crédibles.

Entrer dans l’univers de ce Deal, c’est prendre une place pour un spectacle de Guignol : c’est moins la vraisemblance et le déroulement du scénario qui intéressent que la galerie de personnages que dessine une nouvelle fois Mocky.

Une fois accepté ce principe de je-m’en-foutisme intégral, c’est assez savoureux : députés cumulards et adipeux, concierge aveugle, veuve hystérique, flics défigurés ou handicapés, curé pédophile… C’est le grand guignol cher au cinéaste et aux acteurs qui s’en donnent à cœur joie.

Jean-Claude Dreyfus, comédien souvent horripilant en raison de ses incessants roulements d’yeux et de son jeu aussi fin que l’utilisation d’un marteau-piqueur dans un mécanisme d’horlogerie suisse, est ici totalement dans le ton (donc excessif) et il est souvent très drôle. Autour de lui, c’est un défilé de gueules incroyables : Stévenin a été affublé d’une perruque qui lui donne des airs de Frank Dubosc, Zardi joue un commissaire inquiétant, la moitié du visage camouflé par un masque noir, Berroyer, mèche blonde postiche, joue un inspecteur ambitieux mais pas très futé atteint d’un torticolis (il joue tout le film la tête penchée, reposant sur un petit coussin qu’il garde sans arrêt au-dessus de son épaule !). Il faudrait aussi citer Simsolo dans le rôle de ce prêtre tourmenté par ses désirs pour un petit enfant de chœur ou encore l’ineffable Alison Arngrim (la Nellie Olleson de la petite maison dans la prairie !!!) qui ne peut plus prononcer une phrase sans éclater de rire depuis que son mari est mort ! (L’accent à couper au couteau de l’actrice, qui rend incompréhensible un tiers de ses répliques, ne fait que renforcer l’impression de capharnaüm géant).

Et puis il y a l’ami Renaud, orgue de barbarie à la main, qui chantonne une petite ritournelle qui distance le récit en le commentant d’une manière totalement splendouillette !

Les esprits chagrins regretteront le caractère éminemment caricatural de l’ensemble mais il ne faut pas oublier que nous sommes chez guignol et que ce jeu de massacre n’a rien de mesquin. Il ne s’agit pas de ricaner en disant que tous les prêtres sont pédophiles (ça serait un peu facile) mais de dessiner le plus grossièrement possible une série de personnages excessifs et « monstrueux » (car chez Mocky, le « monstre » est ce qui se rapproche le plus de l’humain).

De la même manière, on peut trouver outré ce moment où les députés s’en mettent plein la panse en entonnant le cantique néo-libéral à la mode (flexibilité, réformes, modernité, plans sociaux…). Mais dans 20 ans, c’est grâce au cinéma de Mocky que nous nous souviendrons de l’incroyable servilité des « élites » actuelles au monstrueux modèle américain…

Bref, le deal est sans doute un film très mineur, incroyablement mal fichu, pas forcément très « drôle » (disons que ce n’est pas un film qui fait rire aux éclats) mais sa vigueur et l’énergie avec laquelle il croque d’incroyables trognes font qu’il s’avère, au bout du compte, assez roboratif…

 

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