Lolita (1997) d’Adrian Lyne avec Jeremy Irons, Mélanie Griffith, Dominique Swain

 

Je l’ai dit souvent (mes plus fidèles lecteurs me pardonneront de radoter) : je tiens Lolita de Nabokov pour l’un des plus beaux romans jamais écrits. Or sous les apparences d’une intrigue claire et d’une construction dramatique relativement linéaire, ce livre me paraît plus que jamais impossible à transposer à l’écran et pas seulement en raison du caractère sulfureux de son sujet (les amours impossibles entre un écrivain et une nymphette de 14 ans).

Comment traduire en images un style ? Comment simplement retrouver la beauté de ces mots qui ouvrent le roman ?

 

« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-li-ta : le bout de ma langue fait trois petits bonds le long du palais pour venir, à trois, cogner contre les dents. Lo. Li. Ta

Elle était Lo le matin. Lo tout court, un mètre quarante-huit en chaussettes, debout sur un seul pied. Elle était Lola en pantalon Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolorès sur le pointillé des formulaires. Mais dans mes bras, c'était toujours Lolita. »

 

Certains s’y sont risqués. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que le cinéma viole la littérature, à condition de lui faire un bel enfant. C’est ce qu’a réussi autrefois Kubrick : son adaptation de Lolita est une trahison de Nabokov mais c’est un beau film où le cinéaste a recentré son propos sur l’aspect satirique et grotesque (grâce à l’interprétation inoubliable de Peter Sellers dans le rôle de Clare Quilty) tout en gommant la dimension obsessionnelle et passionnelle du roman. Le résultat était assez passionnant mais la véritable adaptation restait à faire.

Je ne parlerai pas de la version réalisée par Joe D’Amato pour ménager mon public féminin dont je ne soupçonnais pas l’existence mais qui a eu le bon goût de se manifester récemment.

Et voilà qu’en 1997 (déjà 10 ans !) Hollywood nous gratifiait d’une nouvelle adaptation de l’œuvre phare de Nabokov, signée Adrian Lyne, l’un des plus mauvais cinéastes du monde. Autant dire que le résultat n’est même plus une trahison mais une totale négation du roman.

En lisant ma qualification de « plus mauvais cinéaste du monde », je sais que vous allez me dire : et l’échelle de Jacob ?

Il est vrai que ce film (que je n’ai pas revu depuis sa sortie) m’avait paru très honorable et assez original. Mais il demeure une exception dans une filmographie où surnage la plus vile médiocrité.

Que dire de sa Lolita si ce n’est que le cinéaste se contente d’illustrer platement un scénario et qu’il persiste à filmer, à la fin des années 90, comme au plein milieu des hideuses années 80. Totalement dénué de style, le film adopte une esthétique publicitaire insupportable qui permet à Lyne de filmer les rapports entre Humbert Humbert et Lolita comme ceux de Mickey Rourke et Kim Bassinger dans l’abominable Neuf semaines et demie  (la petite se trémousse devant le vieux séducteur, elle court l’embrasser au ralenti…) et de mettre en scène la jalousie obsessionnelle de l’écrivain à peu près de la même manière que dans Liaison fatale (la séquence finale du meurtre est totalement répugnante).

La seule chose à sauver du désastre, c’est l’interprétation de la petite Dominique Swain, meilleure que la Sue Lyon de Kubrick et qui a plus l’âge du rôle. Pour le reste, nous passerons pudiquement sur le jeu de Jeremy Irons, aussi expressif qu’une bûche et sur l’incapacité du cinéaste à faire vibrer le moindre trouble, la moindre émotion.

C’est là sans doute son plus grand crime car Lolita, c’est avant tout du désir, de l’obsession, de la passion et une interrogation assez vertigineuse sur l’amour et la perversion (Humbert Humbert n’est-il pas, au bout du compte, la véritable victime de l’histoire ?). Chez Lyne, il ne reste plus que quelques effets tapageurs et un érotisme papier glacé totalement ridicule.

Le mot érotisme est d’ailleurs trop exagéré tant ce film dégage une odeur d’eau de javel et tant tout ce qui pourrait heurter est soigneusement aseptisé. La seule chose qu’ose Lyne, c’est  regarder sous les jupes de sa nymphette, activité somme toute honorable mais qui ne mérite en aucun cas la durée d’un long métrage (surtout deux heure et quart, ce qui est interminable !)

Bref, Adrian Lyne fait subir au roman de Nabokov le même type d’outrage que ce crétin qui a endommagé le tableau de Monet au musée d’Orsay.

Lolita ne pourra sans doute jamais être transposé cinématographiquement. Tant pis et tant mieux : chacun pourra garder pour soi les images que lui inspire la prose magnétique de Nabokov…

 

 

 

 

 

 

 

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