Brigitte et Brigitte (1966) de Luc Moullet avec Françoise Vatel, Colette Descombes, Claude Melki

 

Nous vous parlions il y a peu du dernier film de Luc Moullet, le délicieux prestige de la mort en regrettant amèrement que ce cinéaste totalement décalé soit aussi peu reconnu. Et en supposant bien prétentieusement que ces modestes notes puissent avoir une quelconque influence, je vais désormais user de cette tribune, chers lecteurs, pour vous inviter à une grande opération de salubrité publique. Il s’agit de lancer ici un vaste mouvement populaire qui permettra, dans six mois au plus, à Luc Moullet d’être plus célèbre que Luc Besson.

Essayez de vous procurer ses films (vous pouvez déjà visionner et disserter sur son désopilant court-métrage Essai d’ouverture ici), parlez-en sur vos blogs, vos sites et autour de vous, prenez-en otage les distributeurs afin qu’Une aventure de Billy le kid ou Genèse d’un repas ressortent sur les Champs-Elysées,  boycottez les élections municipales si aucun de vos candidats ne proposent de faire sauter les noms de rues ignominieux (celles qui portent le nom d’assassins notoires comme Thiers ou Foch !) et de les remplacer par celui de Moullet !...Tous derrière Moullet, mes amis ; et que la déferlante qui va le pousser en haut de l’affiche chasse à tout jamais l’autre Luc !

Pourquoi cet enthousiasme ? Tout simplement parce qu’après avoir découvert Brigitte et Brigitte, le doute ne m’a semblé pas plus permis que la viande de porc à un musulman : nous tenons avec Moullet le seul réalisateur de séries Z d’auteur !

A côté de Brigitte et Brigitte, le cinéma de Mocky ressemble à une œuvre raffinée d’esthète perfectionniste ! On frise l’amateurisme et le n’importe quoi mais c’est ce qui fait le charme incroyable des fantaisies de Moullet.

Brigitte et Brigitte sont deux provinciales qui « montent » à Paris pour faire leurs études universitaires. Le film se compose de petites saynètes qui en font une petite chronique parisienne dans la lignée du cinéma de la Nouvelle-Vague : moyens financiers réduits à la portion congrue, humour référentiel, gags idiots et décalés (Brigitte se noyant sous les bulletins des candidats en se demandant pour qui elle va voter aux présidentielles de 65)…C’est du cinéma tourné avec trois bouts de ficelles mais qui respire une certaine liberté.

Moullet n’hésite pas à recourir aux « private jokes » les plus obscures. Lorsque les dialogues évoquent les « premiers outrages » ou « les promesses dangereuses », il faut savoir qu’ils font références aux titres des navets de Jean Gourguet dans lesquels tourna la belle Françoise Vatel (une des deux Brigitte). De la même manière, l’actrice qui tourna dans Les cousins désire dans un premier temps s’installer chez son cousin du 16ème, interprété par (je vous le donne dans le mille…)…Claude Chabrol, hilarant en jeune homme libidineux…

Ancien critique aux Cahiers du cinéma, Moullet fait appel à ses « pères » (on reconnaît Eric Rohmer en professeur pas commode, allergique au cinéma américain) ou aux copains de sa génération (Téchiné joue un cinéphile). Un bon moment du film est consacré à l’exposé que Brigitte doit rendre sur le cinéma hollywoodien. On se croirait alors dans Les cinéphiles de Skorecki (en plus drôle) : questions posées à la sortie des salles (j’ai éclaté de rire en voyant ce rat de cinémathèque prenant 12 pages de notes sur son cinéaste favori : Edward Ludwig ! C’est d’autant plus drôle qu’il s’agit d’un réalisateur totalement obscur même s’il a fait tourner John Wayne dans Le réveil de la Sorcière-Rouge), interview raté de Samuel Fuller, débats autour des trois meilleurs et des trois pires cinéastes américains…

Certains pourront s’irriter de tant de désinvolture mais j’allais dire (même si c’est une grosse tarte à la crème !) que Brigitte et Brigitte parvient à saisir quelque chose de l’air du temps : les deux filles sont entraînées dans des manifestations et grèves qui annoncent la politisation de l’université (douce époque !), on évoque la libération sexuelle et Moullet se permet quelques séquences godardiennes en diable : à la visite express du Louvre dans Bande à part répond ici les visites « notées » des plus célèbres places touristiques parisiennes (Notre-Dame est jugée « surestimée » et Montmartre récolte un cruel zéro (les deux filles n’ont sans doute pas trouvé la butte ! Au café de Flore, elles proposent d’aller demander un autographe à un client pour savoir qui il est avant de constater qu’il consulte un guide touristique et qu’il n’est pas plus célèbre qu’elles !)

Humour potache plus regard décalé mais intelligent sur le monde : Brigitte et Brigitte est une excellente entrée en matière pour connaître l’œuvre d’un cinéaste qui sera, à n’en point douter (grâce à nos efforts conjugués) une star de renommée internationale dans quelques temps !

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