Les promesses de l’ombre (2007) de David Cronenberg avec Viggo Mortensen, Naomi Watts, Vincent Cassel

 

Nous sommes gâtés en terme de sorties ces derniers temps : après Gus Van Sant et Woody Allen les semaines précédentes, et en attendant Coppola la semaine prochaine ; voilà le nouvel opus de David Cronenberg. L’auteur de la mouche semble avoir amorcé un virage depuis A history of violence et les promesses de l’ombre s’engage résolument dans le même chemin : même classicisme de façade (un thriller rondement mené, captivant d’un bout à l’autre), même acteur principal (Viggo Mortensen, qui n’a jamais été aussi inquiétant qu’ici, bloc de granit impénétrable) et mêmes ruses d’un passé qui semble ressurgir par éclats brutaux.

A Londres, une sage-femme (Naomi Watts) tente en vain de sauver une jeune fille mineure lors d’un accouchement en catastrophe qui permet néanmoins au bébé de vivre. Afin de le rendre à sa famille et de lui éviter l’assistance publique, Anna cherche à traduire le journal de sa mère, écrit en russe. Ses démarches l’amèneront à côtoyer l’univers interlope de la mafia russe londonienne…

Cronenberg joue parfaitement le jeu des codes du « film de mafia » : bandits cravatés et laconiques, règlements de compte entre divers clans, explosions de violence (certains passages sont assez insoutenables, autant vous prévenir tout de suite). Je le répète, c’est extrêmement bien fichu et quiconque veut seulement jouir d’un bon film de gangsters sera entièrement comblé. Le cadre est toujours inspiré et, comme dans A history of violence, le travail sur la lumière est remarquable.

Mais les promesses de l’ombre vaut plus que ça et l’on sent bien que ce qui intéresse Cronenberg, c’est moins les rites mafieux (il n’est ni Coppola, ni Scorsese) mais bien la question de l’identité de l’individu et de la pérennité du Mal.

Autrefois, le cinéaste s’est employé longuement à montrer l’avènement d’une « nouvelle chair », d’un être humain mutant à l’ère des grandes épidémies (Frissons, Rage, La mouche…) et des nouvelles technologies (Videodrome, eXistenZ…). Il s’intéressait au devenir de l’homme alors que désormais, il traque le Mal dans son passé (les origines du héros de Spider, la construction narrative d’A history of violence). La métaphore la plus forte du film, ce sont évidemment ces tatouages qui ornent les corps des mafieux, traces d’un passé au cœur même de la chair humaine, qui racontent l’histoire de celui qui les arbore…Le Mal n’a plus à prendre la forme d’excroissances monstrueuses : il est inscrit dans la chair même des individus.

Cronenberg va mettre en orbite son récit autour de cette « zone morte » du passé des personnages, cette obscurité qui nappe les vicissitudes de cette famille de mafieux et qui surgit par éclairs aveuglants (les pages du journal intime de la jeune prostituée dont la traduction est lue en voix-off).

Depuis Spider, les liens familiaux et leur complexité semblent être devenus le nœud gordien du cinéma de Cronenberg. Le film tente de lever le voile opaque qui masque la nature même des liens entre un pater familias inquiétant, son fils alcoolique et plutôt dégénéré (Vincent Cassel, qui n’a pas été aussi bon depuis longtemps) et ce mystérieux « chauffeur » qu’incarne Mortensen. Il y aurait de nombreuses choses à dire sur ce sac de nœud mais je vais m’en dispenser (fainéant ! fainéant !) car pour analyser tout ça, il faudrait déflorer une intrigue qui mérite d’être préservée intacte car elle vous réserve quelques surprises. Contentez-vous de savoir que le cinéaste creuse ici des thèmes qui semblent lui devenir chers : la filiation, la transmission du Mal et l’éventualité d’une rédemption.

Une scène anodine en apparence du film indique assez bien la teneur générale des Promesses de l’ombre. Anna est à table avec sa mère et son oncle et ce dernier commence à lui parler de son ex-petit ami. Comme la jeune femme avoue qu’elle est seule, l’homme lui tient alors d’invraisemblables propos et affirme que cela n’a rien d’étonnant, que les Noirs finissent toujours par partir et qu’une union avec un homme d’une autre « race » ne pouvait peut jamais fonctionner. La preuve ? Ce bébé qu’elle aussi a perdu autrefois. Propos atroces mais qui témoignent de cette phobie que les personnages éprouvent à se « mêler » aux autres : le vieux mafieux a peur d’être contaminé par un virus quand la police lui fait une prise de sang, on intronise les individus dans un clan en leur faisant renier père et mère et en inscrivant dans sa chair la marque de son appartenance…Le drame du chauffeur, c’est justement ces tatouages qui le font appartenir à la « famille » mafieuse et en font un corps mutant, désormais inassimilable par l’autre partie (« les gens normaux » comme le proclament les parents d’Anna) de l’humanité. Il est comme Christopher Walken dans Dead zone : radicalement différent mais peut-être capable de trouver dans son irréductible étrangeté la planche de salut pour la rédemption.

Cette vision très pessimiste d’une humanité « clanique » que nous propose Cronenberg pourrait être prétexte à une extrapolation « politique » du film mais là encore, la fatigue me gagne et je vous épargne cela pour cette fois ci. Contentez-vous de retenir que les promesses de l’ombre est un film très riche (tiens, si je parlais de sa dimension «religieuse » avec ces deux faux frères et le fils qu’on veut sacrifier ; sans parler de la dernière scène assez « biblique » du film…) et qu’il mérite qu’on s’y rue sans hésiter…

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