Western camembert
Une aventure de Billy le Kid (1971) de Luc Moullet avec Jean-Pierre Léaud
Ne nous attardons pas plus d’une minute sur l’aguicheuse (Luigi Scattini.1977), inénarrable antiquité très vaguement érotique qui reste pour moi l’un des films les plus laids que j’aie vu de ma vie : la photo est dégueulasse, pas un plan n’est cadré correctement et le doublage exécrable ne fait que rendre plus improbable cette énième version de La femme et le pantin (ou l’ange bleu). Si j’ai préféré ce nanar (on l’on aperçoit néanmoins la youpitante Pam Grier) au sublime To be or not to be de Lubitsch 0 (faut le faire, tout de même !), c’est que je voulais être à l’heure pour ne pas manquer un nouveau voyage dans les Alpes, toujours à la frontière franco-mexicaine (sic !) avec notre cher Moullet, le seul Luc important du cinéma français.
Que dire de cette Aventure de Billy le Kid sinon que nous y retrouvons, ô joie, l’immense Jean-Pierre Léaud qui semble s’amuser énormément à endosser les habits du célèbre bandit de l’Ouest. Nous allons l’accompagner durant une heure 15 1 à travers les paysages grandioses des Alpes et le « scénario » se résumera à cette randonnée dans les montagnes (OK, précisons néanmoins que Billy est accompagné d’une jolie compagne qu’il a ramassée en route et qu’il est censé être poursuivi par des forces de l’ordre dont nous osons mettre en doute la réelle motivation).
Le résultat est du Moullet pur jus : film de cinéphile (l’ex-critique des Cahiers du cinéma 2 s’amuse avec les archétypes du western – braquage, attaque de diligence, cavalcade dans les grands espaces…et les réutilisent avec autant d’ironie que de tendresse amusée), film loufoque et absurde (Billy s’enfuit avec un butin et son… âne ; alors qu’il est presque terrassé par la chaleur, la fatigue et la soif, il reprend soudain goût à la vie en apercevant sa compagne de route en soutien-gorge…) et film totalement nonchalant qui se contente, comme dans Les contrebandières, de suivre quelques personnages à travers des paysages assez époustouflants.
Car si le film frise une fois de plus la désinvolture la plus totale et la série Z la plus réjouissante (il faut voir Jean-Pierre Léaud et Rachel Kesterber « coincés » dans des anfractuosités de la montagne faire mine de se débattre comme des fous pour sortir d’un petit trou où ils ont l’air totalement à l’aise !), il est indéniable que Luc Moullet possède aussi un véritable sens du cadre et que certains plans sont aussi beaux qu’une faculté bloquée !
Contrairement aux deux films précédents, Une aventure de Billy le Kid a été tourné en couleurs et Moullet a un sens de l’espace que je qualifierais volontiers de fordien si je n’avais pas peur de faire s’étrangler de stupeur mon ami Vincent ! Notre lustucru joue à merveille des paysages incroyablement variés de ces montagnes (sols rocailleux, glaciers, déserts, étendues neigeuses, cours d’eau salvateurs…) et en découpant quelques silhouettes humaines dans cet environnement majestueux, il parvient mine de rien à faire de la mise en scène.
Les amateurs de westerns truffés jusqu’à ras bord de péripéties et de rebondissements auront intérêt à passer leur chemin devant cet OVNI minimaliste où il ne se passe quasiment rien. Par contre, ceux qui goûtent volontiers les voluptés enchanteresses de la contemplation et de l’humour tordu de Moullet se laisseront envoûter par la beauté des plans et par le rythme nonchalant de cette balade en plein air.
Ils pourront alors constater que l’expérience en vaut la peine…
0 J’espère que vous n’avez pas manqué La princesse aux huîtres et La chatte des montagnes, deux petites perles de la période allemande du maître que je viens de découvrir en DVD : c’est un régal !
1 Quelqu’un est-il en mesure de me dire la durée exacte de ce film ? Dans le Dictionnaire des films et dans Télérama, c’est 1h45 qui est annoncée. Le film a-t-il été réduit d’une demi-heure pour son exploitation en DVD ? (puisqu’on retrouve cette durée d’1h15 annoncée dans le très beau compte-rendu que je vous citais la semaine dernière ici)
2 Saviez-vous que même aujourd’hui, certains de ses textes sont encore refusés par les revues « officielles » sous prétexte qu’ils sont trop irrévérencieux (pour Almodovar, par exemple). Cher monsieur Moullet, si vous tombez sur ces pages et que vous voulez bien nous confier votre prose, nous nous ferons un plaisir de publier ce texte (malgré l’intérêt que nous portons à l’œuvre du cinéaste espagnol !)