Oliver Twist (2005) de Roman Polanski avec Ben Kingsley

 

Qu’est-il arrivé à Roman Polanski que nous aimions tant lorsqu’il tournait Cul-de-sac ou Répulsion ? A quand remonte désormais son dernier grand film (j’avais beaucoup aimé Lunes  de fiel à sa sortie mais je ne l’ai pas revu depuis) ? Quoiqu’il en soit, je ne crois jamais l’avoir vu toucher le fond à ce point qu’avec cette adaptation pataude du célèbre roman de Dickens déjà porté à l’écran par David Lean en 1948 et 20 ans plus tard par Carol Reed dans une version comédie musicale. Du coup, le spectateur qui, comme moi, se méfie d’avance des adaptations littéraires, commence par se demander quel peut-être le véritable intérêt de transposer à nouveau au cinéma les mésaventures du pauvre petit orphelin Oliver Twist.

Reconnaissons que les dix premières minutes sont intrigantes. Polanski n’étant pas totalement un manche, nous commençons par nous intéresser à sa mise en scène et à la composition très soignée de ses plans. Regardez la manière dont le cinéaste cadre systématiquement ses personnages de manière à laisser derrière eux une grande profondeur de champ. On se dit alors que Polanski va prendre des partis pris plastiques forts et qu’il ne va pas se contenter d’illustrer un récit ultra classique. En évitant dans un premier temps les gros plans anonymes et en jouant sur cette profondeur, le cinéaste parvient à placer parfaitement son personnage dans un espace à la fois trop étriqué pour lui (il est noyé dans la masse de l’orphelinat) et trop grand (le monde des adultes). Ce n’est pas grand-chose mais c’est déjà une idée de mise en scène qui, malheureusement, ne dure que le temps de l’ouverture du film. Après, ça se gâte…

Pour nuancer l’apologie que je viens de faire des dix premières minutes, notons qu’une inquiétude nous saisit dès la première image lorsque nous constatons que Polanski a recours à cette photographie « standard » du cinéma actuel et qu’il noie son film sous les chromos jaunâtres ou les lumières « métalliques » (je soupçonne d’ailleurs de nombreuses retouches numériques). C’est à la fois très laid et ça rend Oliver Twist totalement amidonné.

Une fois qu’Oliver s’échappe de l’orphelinat, Polanski abdique totalement et abandonne l’idée même de mise en scène. Oliver Twist ne sera qu’un « beau » livre d’images, une illustration pieuse et peu inspirée du roman éponyme. Le film devient alors totalement académique et distille très vite un profond ennui : découpage fonctionnel et illustratif, photo plutôt moche (voir plus haut) et montage anémique (on n’aperçoit pas l’ombre d’une petite ellipse narrative qui pourrait nous tenir en éveil et éviter que tout soit entièrement pré-mâché !).

Du coup, sans avoir lu le livre de Dickens, je peux affirmer que Polanski en trahit l’esprit. La dimension « sociale » que l’on doit certainement trouver dans le roman est ici totalement expurgée et cette photo léchée (qui m’a décidément bien gêné !) ne laisse pas un instant entrevoir la misère du peuple anglais pendant l’ère Victorienne. Oliver est presque toujours bien peigné et jamais nous n’imaginons qu’il puisse avoir faim, soif ou froid ! Toute la violence sociale est ici aseptisée au profit d’une imagerie décorative sans aspérité, strictement décorative.

Un passage d’Oliver Twist m’a semblé éclairant. Lorsque le petit Oliver est recueilli par un brave libraire qui voit la bonté et l’innocence de ce jeune garçon, il « teste » sa fidélité en lui confiant un billet et des livres à apporter à un client. C’est bien entendu à ce moment qu’Oliver se fait kidnapper par la bande de gredins qui l’avait recueilli un peu avant.

Si je cite ce passage, c’est qu’on retrouve une situation dramatique similaire dans Los Olvidados de Buñuel et la comparaison est accablante pour Polanski. Chez  Buñuel, il y a une puissance d’incarnation incroyable qui nous fait ressentir à la fois le milieu dans lequel évoluent les personnages et tous les courants contraires qui agitent les différentes personnalités humaines (nous sommes loin de l’ « innocence » un peu niaise d’Oliver). C’est à la fois totalement « réaliste » et en même temps stylisé (d’où le terme de « surnaturalisme » employé à propos de Los Olvidados). Chez Polanski, tout est fade : pas de combats intérieurs chez Oliver qui n’est qu’une victime, pas d’ancrage social, pas de tension émotionnelle quand se déroule cette séquence.

Oui, fade : c’est le mot qui me semble le mieux caractériser cet Oliver Twist ripoliné et plombé par sa « joliesse » décorative…

 

 

 

 

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