Une parenthèse enchantée
Une femme de ménage (2002) de Claude Berri avec Jean-Pierre Bacri, Emilie Dequenne, Catherine Breillat
Alors qu’il nous a longtemps assommé avec ses adaptations littéraires académiques et ses productions monumentales (de grosses bouses comme Germinal ou Lucie Aubrac), Claude Berri semble revenir depuis quelques temps à ses premières amours et à des projets plus modestes. Certes, Une femme de ménage est encore adapté d’un roman de Christian Oster mais on ne peut pas dire que ce récit minimaliste ait un quelconque rapport avec les reconstitutions lourdes chères à Berri.
Jacques est un ingénieur du son quinquagénaire qui vit seul depuis le départ de sa femme et qui semble mal supporter la solitude. Sa vie bascule le jour où il engage Laura, une jeune fille au sourire lumineux, afin qu’elle vienne chez lui faire quelques heures de ménage. La suite est prévisible : Laura s’installe chez Jacques après une rupture sentimentale et la liaison attendue va arriver…
Le scénario d’Une femme de ménage, on a pu le constater, est bête comme chou et se réduit à ces quelques lignes. Pourtant, le film parvient à être un peu curieux car Berri ne se réfugie ni dans la psychologie, ni dans le pathos pour traiter son sujet mais, au contraire, dédramatise cette trame narrative pourtant déjà bien dépouillée. Tout s’enchaîne sans larmes (ou presque) ni transports passionnels (ou alors, ils sont bien maquillés). De fait, le film est presque « terne » dans cette manière qu’il a d’avancer sans variation de ton. Berri filme au ras du quotidien le « métro-boulot-dodo » de personnages ordinaires et c’est ce qui finit par intriguer un petit peu car il parvient ainsi à nous offrir quelques notations assez justes sur la solitude contemporaine et les difficultés à s’ouvrir aux autres (cette femme qui refuse le verre que lui propose Jacques à une terrasse de café).
Malheureusement, aussi curieux soit-il, il est difficile de dire qu’Une femme de ménage est un film réussi. D’abord parce que Berri cède à certaines facilités et n’évite pas la caricature (d’un côté, Jacques qui n’aime que la musique classique et la lecture tandis que Laura écoute d’horribles morceaux de rap et se bidonne devant Lagaf à la télévision ! Chabrol se montrait plus subtil dans La cérémonie lorsqu’il s’agissait de montrer la « lutte des classes ») Même si on sait gré au cinéaste de nous épargner le sempiternel couplet de « l’ouverture à l’autre » (en temps normal, soit Laura aurait soudain été touchée par le « grand Art », soit Jacques aurait fini par faire fi de leurs différences culturelles) et de ne pas jouer la carte du naturalisme (même si le film est au ras du quotidien, il reste assez irréaliste et apparaît sur la durée comme une sorte de parenthèse enchantée pour un homme qui renaît à la vie grâce à l’amour d’une jeune fille) ; Une femme de ménage ne parvient que difficilement à faire exister ses personnages hors de ces différences de milieux sociaux et la métaphore de cette jeune fille qui vient « dépoussiérer » le cœur de l’homme vieillissant est un peu trop voyante.
Plus grave peut-être : pour montrer le train-train quotidien et l’ennui qui suppure de jours identiques, il me semble qu’il faut adopter un parti pris de mise en scène assez fort pour ne pas être ennuyeux. Or Berri n’a jamais été un grand cinéaste et son film est un peu plat pour montrer la platitude. Rares sont les moments où l’on échappe à une esthétique de téléfilm.
L’ensemble n’est pas honteux et si l’on échappe même souvent à l’ennui, c’est surtout grâce au couple vedette du film. Jean-Pierre Bacri est dans son registre habituel de l’homme vieillissant bougon mais il fait son numéro avec un grand talent qui lui permet justement d’éviter de se cantonner à un « numéro ». Mais c’est surtout Emilie Dequenne qui tire son épingle du jeu. Tout le monde sait que l’actrice fut révélée par sa superbe prestation dans le Rosetta des frères Dardenne (dont Berri parodie le style lors d’un court moment du film) et elle rendosse ici le costume de la fille nature issue certainement d’un milieu populaire. Ce n’est pas toujours facile de dire pourquoi un acteur est bien dans les films. On se contente souvent d’aligner les superlatifs mais ils ne disent pas réellement la nature même de la performance. Pour Emilie Dequenne, j’ai presque envie de parler de présence. Elle ne dit pas grand-chose mais elle est là et on ne l’oublie pas. Présence incroyablement charnelle qu’illumine soudain un extraordinaire sourire et qui m’a fait songer (ce n’est pas un mince compliment) à celle de Sophie Guillemin dans L’ennui de Cédric Kahn. Elle devient, au-delà de son rôle, l’image même d’une jeunesse que Jacques a vu s’enfuir et la petite flamme qui permettra -qui sait ?- à son cœur de s’embraser à nouveau…