Anatomie d’un rapport (1976) de Luc Moullet et Antonietta Pizzorno avec Luc Moullet, Christine Hébert

 

Vous l’attendiez tous avec impatience et j’ai le plaisir de vous retrouver aujourd’hui pour le rendez-vous hebdomadaire le plus attendu de la toile : la faramineuse opération destinée à rendre célèbre Luc Moullet et faire de ce cinéaste le plus renommé de France. Opération de longue haleine qui ne semble pas attiser les vocations mais j’ai bon espoir que de nobles croisés prennent le relais pour chanter héroïquement les hauts faits de la geste moulletienne !

Nous quittons cette fois-ci les paysages somptueux de montagnes des derniers films pour revenir dans un appartement parisien étriqué où le poster du film Nathalie Granger (brrr !) de Marguerite Duras tient lieu de seule décoration.

Lui est un cinéaste dont les films ne marchent pas (ça vous rappelle quelqu’un ?), elle est enseignante mais confie sa lassitude « d’enseigner des choses auxquelles elle ne croit plus ». Elle en a assez également d’être considérée comme un « objet sexuel » et elle se met à revendiquer son droit au plaisir. L’harmonie du couple est rompue et ce sont dès lors de longues discussions où les deux dissèquent, comme le titre du film l’indique, la réalité de leur rapport amoureux…

Résumé ainsi, le film a tout pour faire fuir : minimalisme durassien (un film à deux dans une chambre), des moyens financiers qui ne doivent guère dépasser le salaire mensuel d’un instituteur en fin de carrière et qui donnent au film ses allures de « home movie » amateur et, pire que tout, la crainte de voir se profiler les grands discours idéologiques des années 70 et de se retrouver face à ces films « militants » tournés avec trois sous que fustigeait avec beaucoup de drôlerie Jean-Patrick Manchette.

Mais, pour reprendre les mots de l’auteur de Nada à propos de Genèse d’un repas du même Moullet (rendez-vous la semaine prochaine !), Anatomie d’un rapport est « très amusant bien qu’il s’agisse d’un film social à petit budget, chose a priori détestable ».

Ce qui est amusant, c’est la manière dont le cinéaste parvient à tordre le coup aux grands discours idéologiques alors en vogue (le féminisme n’étant qu’un avatar de cette lèpre idéologique !) pour les tourner en ridicule. Cela tient peut-être à son humour si particulier et à la figure burlesque qu’il incarne lui-même : sa voix traînante, son accent si caractéristique, sa gaucherie et son air ahuri finissent par désarmer tout didactisme.

Lorsque sa compagne lui présente la doxa féministe alors en cours (« je ne veux plus être un objet », « je veux que tu t’occupes de mon plaisir », blablabla…), Moullet lui répond très pertinemment qu’elle semble réciter un cours appris par cœur et que son couvert d’émancipation individuelle, les femmes se comportent comme des robots en généralisant des données somme toute strictement individuelles. Mais la force du cinéaste, c’est qu’il parvient néanmoins à ne pas jouer les gros phallocrates et à faire entendre également la voix d’une femme (ça me fout en rogne, cette manière de parler des femmes en général !)

Sans avoir l’air d’y toucher et sous ses allures foutraques et potaches (ce plan désopilant où Moullet filme des quidams dans la rue et affirme qu’eux ont une vie sexuelle normale car elle n’est pas l’objet d’un débat tous les soirs !), Anatomie d’un rapport prend acte d’un tournant dans la civilisation (le cinéaste se lamente humoristiquement d’être né juste à cette époque) où l’harmonie entre les sexes (de part leur différenciation) s’estompe au profit de discours revendicatifs oiseux et d’intellectualisation à outrance qui ne parviennent jamais à gommer la dimension de culpabilité (que ce soit celle des femmes et maintenant celle des hommes).

Pour Moullet, le monde est toujours analysable sous la forme d’une « comédie » (Cf. La comédie du travail). Ici, c’est la comédie du sexe qu’il décrypte avec lucidité. L’idéologie féministe est devenue alors une monnaie d’échange : plutôt que de désaliéner réellement la femme (se débarrasser de cette culpabilité liée à leur plaisir) elle n’a fait qu’inverser les termes du problème et permettre de faire porter le poids de la culpabilité sur des hommes veules et faibles (le portrait que Moullet projette de lui est peu reluisant). Tout reste finalement placé sous le signe du jeu et du rapport de force, à l’image de cet épilogue curieux où Moullet et sa co-réalisatrice se filment en train de réfléchir au film qu’ils sont en train de faire. Jeu entre le vrai et le faux accentué par le fait que le rôle de Antonietta Pizzorno soit tenu par une « actrice «  dont on peut se demander si elle « joue » à être femme ou si elle est d’abord une « femme » qui joue.

Malgré sa drôlerie et son ton badin, anatomie d’un rapport se révèle au bout du compte assez pessimiste et désenchanté.

Retour à l'accueil