El Topo (1971) de et avec Alexandro Jodorowsky

 

J’ai horreur de l’expression « film culte », employée à toutes les sauces depuis quelques temps par des folliculaires en mal d’imagination. Il suffit désormais qu’un film ait du succès pour qu’on lui accole cette étiquette galvaudée (faire des Visiteurs un « film culte » est un non-sens total !). Seuls quelques rares films peuvent mériter cette appellation. Ils se caractérisent souvent par leur caractère bizarre et/ou provocateur et ce sont souvent, à l’origine, des objets totalement confidentiels devenus de véritables objets « de culte » par le bouche à oreille et les séances de minuit. S’il fallait en citer quelques uns, nous penserions d’emblée au fabuleux Eraserhead de David Lynch, à Pink Flamingos de John Waters et à l’imputrescible Rocky horror picture show. A ce lot, on peut ajouter sans hésiter le western sous acide de Jodorowsky El Topo, deuxième long-métrage de l’auteur et le premier que je découvre.

Peut-on résumer un tel OVNI ? Essayons : El topo est un cavalier tout de noir vêtu qui chevauche dans le désert en compagnie d’un petit garçon nu. En chemin, il découvre un atroce carnage perpétré par un colonel et ses hommes. Il venge les victimes, abandonne l’enfant à des moines et s’enfuit dans le désert avec une femme. Elle l’incite à tuer les quatre maîtres du désert, ce qu’il fera avec plus ou moins de brio. Après la trahison de sa compagne, il se retrouve à la tête d’une communauté de « freaks » prisonniers dans une montagne, et tente de creuser un tunnel pour les libérer…

Alors qu’El Topo commence comme un western de Sergio Léone (l’homme sans nom venu de nulle part, les grands espaces, l’exacerbation de la violence…), ce film se transforme bien vite en fantasmagorie allégorique et ésotérique assez étonnante. Jodorowsky rythme son film en le découpant en quatre parties évoquant des épisodes bibliques (1-La Genèse, 2-Les prophètes, 3-Les psaumes, 4-L’Apocalypse) et en le truffant de symboles qui, je dois l’avouer en ce qui me concerne, nous passent souvent au-dessus de la tête.

Mais l’intérêt du film ne vient pas de ce mysticisme complètement fumeux et d’une stupidité sans nom (pardon pour les fans adeptes de toute cette supercherie ésotérico-apocalyptique !) mais du travail proprement cinématographique. Je n’apprendrai rien à personne : Jodo est connu avant tout pour son travail de scénariste de bandes dessinées (l’Incal avec Moebius restant la plus célèbre de ses contributions). Or si El Topo fait preuve d’une indéniable inventivité visuelle, il a le mérite de recourir à de véritables procédés cinématographiques (même s’ils sont parfois très baroques et proches d’un découpage BD) et de ne pas se fourvoyer dans un « cinéma phylactère » à la Bilal, sans doute le réalisateur le plus ennuyeux du monde !

Jodorowsky imprime un véritable rythme cinématographique à son film, influencé qu’il est par le western et le film d’aventures. Plastiquement, c’est absolument superbe ; avec des plans qui rappellent parfois la peinture de Dali. Car il faut bien préciser que nous sommes dans un univers totalement surréaliste où l’on trouve des œufs cachés sous le sable dans le désert et où un coup de feu sur un rocher peu faire jaillir une source d’eau potable. Le cadre est sans arrêt étonnant et le cinéaste parvient à donner une véritable forme à ses délires hallucinogènes.  

Comme le récit est totalement décousu et qu’El topo recherche une adhésion purement « plastique » et sensorielle, je dois reconnaître que j’ai parfois trouvé le temps un peu long (deux heures, c’est presque trop !). Heureusement, Jodorowsky compense ces quelques longueurs à la fois par un humour très noir (ces flots d’hémoglobines qui accompagnent les duels et autres massacres, ce moment délicieux où les hommes entament une partie de roulette russe et où un petit garçon voulant se prêter au jeu se fait malencontreusement sauter la cervelle : il fallait oser !) et par une vision hallucinée de l’humanité souffrante.

Dans la dernière partie du film, Jodorowsky oppose de manière assez grinçante (la caricature est énorme mais elle s’inscrit parfaitement dans le cadre du film) la notabilité d’une petite ville (où de vieilles rombières nymphomanes abusent de leurs esclaves nègres avant de les faire pendre en les accusant de viol !) et le peuple de parias qui vit dans la montagne. Certainement influencé par le Freaks de Browning et le sublime Terre sans pain de Buñuel, le cinéaste nous présente tout un peuple de « monstres » où l’on croise des manchots, des culs-de-jatte, des nains et autres êtres difformes  réprouvés par la société des gens « normaux ».

Le massacre final de ces « freaks » est un tableau dantesque assez impressionnant.

Et c’est pour ces quelques visions assez extraordinaires qu’El Topo mérite le détour, au-delà de son propos mystico-fumeux…

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