Un baiser s’il vous plaît (2007) de et avec Emmanuel Mouret et Virginie Ledoyen, Julie Gayet, Frédérique Bel

 

Je n’ai plus le temps d’aller au cinéma. Mes activités diverses et variées m’ont empêché d’aller voir le dernier Coppola (remarquez, j’avais déjà été sérieusement échaudé par la très belle note d’Hyppogriffe. Même si je suis d’un avis totalement opposé sur le dernier Cronenberg, cela faisait longtemps que je n’avais pas eu ce sentiment de lire un véritable exercice critique). Je n’ai pas encore vu non plus le dernier Todd Haynes (et pourtant, je suis un grand admirateur de Loin du paradis et de l’admirable Safe), ni celui de Kechiche. Je suis donc très en retard (sans compter qu’il ne m’aurait pas déplu d’aller jeter un œil sur le dernier Farrelly, le Pascal Thomas ou, avec méfiance, sur le dernier Noémie Lvovsky) mais malgré cela, je ne voulais à aucun prix louper le dernier film d’Emmanuel Mouret.

Au risque de vous lasser et de faire passer cette affirmation pour une rengaine, je dois réitérer ici mes griefs contre la comédie « à la française ». C’est peu dire que le genre est totalement dévasté aujourd’hui, qu’il soit vampirisé par les minables transfuges de la télévision ou qu’il ne fasse que répéter les vieilles formules du gros comique qui tache. C’est sans doute pour cette raison que je persiste à me réfugier auprès des quelques oasis qui subsistent dans ce désert de médiocrité. Cela peut être les films de Mocky ou, dans un genre radicalement opposé, ceux de Salvadori (encore que le dernier me fasse un peu peur).

Emmanuel Mouret fait incontestablement parti de ces oasis. Avant d’avoir signé son meilleur film avec le délicieux Changement d’adresse, j’avais déjà beaucoup aimé son Laissons Lucie faire ! (avec la piquante Marie Gillain) ou le trop méconnu Vénus et fleur. Un baiser s’il vous plaît confirme, même si c’est sur un mode mineur, le talent et la singularité de ce cinéaste.

En perme à Nantes, Emilie (Julie Gayet, le charme incarné) rencontre Gabriel. Petit jeu de séduction classique qui les amène à passer une soirée ensemble. Au moment de se séparer, Emilie refuse d’offrir un baiser d’adieu à cet homme qu’elle ne reverra sans doute jamais et lui explique pourquoi. A partir de là, Mouret emboîte le récit principal de son film : celui d’une femme mariée (Virginie Ledoyen, toujours la plus craquante des actrices françaises) et de son meilleur ami (Mouret) entraînés dans une aventure inextricable suite à un baiser qui aurait du être sans suite.

Un baiser s’il vous plaît est une nouvelle variation sur le désir et les aléas de l’amour traitée sur le mode d’un marivaudage classique. Cette nuit, je me suis réveillé en sueur en me disant : « mais bon Dieu ! ce film ne fait pas avancer le cinéma ! » et puis je me suis rendormi apaisé en réalisant que ce n’était qu’un cauchemar et que je n’étais toujours pas abonné à Technikart ! Oui, le film est très classique : très dialogué et pas forcément très inventif du point de vue de la mise en scène. Pourtant, il y a quelque chose ici (un raccord qui en dit plus long qu’une phrase de dialogue, une manière de faire durer les plans un peu plus longtemps que dans la comédie basique) qui éloigne totalement Mouret de la platitude ou de l’anonymat téléfilmique.

Dans son film, il est question de mathématiques et de réactions chimiques. Nicolas (Mouret) est professeur de maths tandis que Judith (Ledoyen) fait des expériences chimiques. J’ai lu que tout cela n’avait rien de crédible mais Mouret ne vise en aucun cas le naturalisme : cela participe au contraire à son jeu de stylisation qui va le pousser à tenter de mettre les sentiments en équation et de réfléchir au réaction « chimique » d’un baiser.

Le film est traversé par deux courants contraires qui en font tout le charme. D’un côté, ce qu’il y a de spontanée et d’incroyablement mystérieux dans le sentiment amoureux (ce qu’on appelle le « coup de foudre ») est décortiqué et « mis à plat » jusqu’à l’épuisement (ces longues scènes où Nicolas explique son « manque d’affection physique » à Judith et lui demande froidement de le « guérir », cette manière de mécaniser les gestes de l’amour (« je peux te caresser les seins ? » demande maladroitement Nicolas)…). Mouret tente de mettre en équation la passion amoureuse : effrayés par le plaisir qu’ils ont pris à faire l’amour, Judith et Nicolas décident de remettre ça pour se convaincre que ce n’était pas aussi bien que qu’ils l’imaginent et ils s’appliquent même à le faire le moins bien possible. Comme ce « moins » finit par produire du « plus », ils remettent ça en tentant de renverser l’équation : s’ils font tout pour que ça soit le mieux possible, peut-être qu’ils obtiendront quelque chose de moins bien ! De la même manière, pour ne pas faire souffrir le mari de Judith, notre couple adultère décide de lancer une « inconnue » dans l’équation et lui colle dans les pattes Câline (l’excellente Frédérique Bel).

De l’autre côté, cette « mécanisation » des sentiments produit paradoxalement une « humanisation » de la mécanique de la comédie. Si pour reprendre la fameuse définition de Bergson, le rire est du mécanique plaqué sur du vivant, Mouret plaque du vivant sur du mécanique. Du coup, son film dit des choses assez justes sur les lois mystérieuses qui régissent les corps amoureux, sur les règles trop « mécaniques » des choses qui empêchent parfois de saisir au vol la chance du grand amour…

Soyons honnête : le film n’est jamais tordant mais on le regarde avec un sourire aux lèvres constant, séduit que nous sommes par la légèreté du cinéaste, sa manière de styliser discrètement son œuvre (en ce sens, l’utilisation de la musique classique –Schubert, Verdi, Mozart…- est parfaite) et de nous toucher par son sens du marivaudage.

Les comédiens sont tous parfaits (c’est absolument faux de dire que Virginie Ledoyen n’est pas à l’aise comme je l’ai lu dans certains papiers : elle parle de la manière dont Mouret veut la faire parler –c’est un mode de stylisation- et il faut voir son visage quand son mari annonce qu’il va la quitter : on ne sait pas si elle va éclater de rire ou en sanglot. Elle est donc totalement convaincante. De la même manière, j’aime toujours la gaucherie du personnage qu’incarne Mouret, séducteur maladroit et empoté) et ils achèvent de donner au film sa petite musique charmante qui mérite d’aller être écoutée…

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