Friandise de Noël
Une nuit à Casablanca (1946) d’Archie L. Mayo avec Groucho, Harpo et Chico Marx
Est-ce bien utile de vous gratifier, ô public ingrat !, d’une petite note de Noël alors que vous êtes tous (comme moi !), à vous goinfrer de foie gras et de chocolats ? Qui d’ailleurs a vraiment envie de sortir par ce temps pour aller voir un film ou de regarder l’affligeante programmation télévisuelle de cette période de fêtes ?
Mais une fois de plus, je ferai preuve de munificence en vous touchant deux mots d’une petite pépite (un peu réchauffée, certes, mais toujours bonne pour ressourcer) diffusée sur Cinécinema Classic (l’une des seules chaînes à n’avoir pas totalement abdiqué sur le terrain de la qualité) à l’heure de la messe de minuit.
Cette pépite, c’est Une nuit à Casablanca, pastiche endiablé du célèbre Casablanca de Curtiz par les frères Marx (ne jamais oublier de rester marxiste, même le soir de Noël !). C’est dans ce film que se trouve l’une des scènes les plus célèbres des trois frangins : un agent demande à Harpo de circuler alors qu’il est accolé à un mur. « Vous soutenez la maison ? » lui demande ironiquement le représentant de l’ordre. Ce à quoi Harpo répond « oui » en s’éloignant brusquement tandis que s’effondre la maison !
Tout l’univers des Marx est dans cette scène, ce sens du burlesque conjugué à celui de l’absurde (plus tard, Harpo mangera des bougies en plaçant les flammèches d’icelles au bout de ses doigts !). Le scénario n’a ici, bien entendu, aucune importance (une sinistre histoire de directeurs d’hôtel assassinés –c’est Groucho qui occupe alors le poste- et d’anciens nazis tentant de transporter un trésor de guerre en Amérique du sud) et n’est que le prétexte à une succession de gags.
Le film de l’anonyme Archie L. Mayo ne compte sans doute pas parmi les plus grandes réussites des frères Marx. Nous lui préférons sans hésiter le sublime Soupe au canard (Léo McCarey) ou les films de Norman Z. McLeod (Plumes de cheval, Monnaie de singe). Mais pas question de bouder son plaisir devant le comique effréné de ces génies qui ont véritablement tout inventé (la scène où Harpo le muet tente par mime de faire deviner quelque chose à Chico sera reprise aussi bien par les Nuls que par les médiocres Kad et Olivier).
Le film s’inscrit à la fois dans la tradition du burlesque primitif, avec notamment ce sublime personnage de Harpo, source inépuisable de gags visuels tordants et poétiques. La séquence où les trois frères se planquent dans des armoires et font tourner en bourrique l’ancien nazi en lui déplaçant sans arrêt ses habits est succulente. A cela s’ajoute la logorrhée intarissable de Groucho (ne cherchez pas plus loin à qui doit tant Woody Allen) qui entraîne dès lors le film aux confins de l’absurde et du non-sens le plus total (dommage que ma mémoire soit aussi piteuse : je vous aurais volontiers cité quelques répliques savoureuses d’un film qui en regorge à foison !)
Une nuit à Casablanca représente, en mineur, la quintessence du comique marxien jusque dans ses moments les plus faibles ou ses interludes obligatoires (le morceau de piano de Chico, le morceau de harpe d’Harpo : moments pas désagréables du tout, par ailleurs). Ce qui domine, c’est une logique de destruction. Les frères se retrouvent généralement dans des lieux où ils n’ont rien à faire (leur statut social ne devrait pas leur permettre) : opéra, hôtels luxueux, parlement… et par leurs simples présences, ils remettent en question toutes les conventions et les bienséances (admirez la manière dont Groucho parle aux femmes ou aux millionnaires : « -Si cette femme est vraiment votre femme, c’est vous qui devriez avoir honte ! » rétorque t-il à un richissime bonhomme outré qu’on puisse prendre sa compagne pour une banale maîtresse que l’on amène à l’hôtel).
Ils le font par le rire et c’est pour cette raison que je considère leur comique comme l’un des plus destructeurs et subversifs qui soit. Et c’est sans doute pour cela que je préfère largement ces Marx à leur homonyme célèbre…