Promis, c’est la dernière fois que je reviens sur 2007 ! Mais l’idée me trottait dans la tête après avoir lu les superbes notes rétrospectives de Joachim : pourquoi ne parler que des 10 meilleurs films de l’année écoulée et ne pas évoquer les grandes émotions qu’on a pu ressentir en (re)découvrant des films plus anciens. Comme j’ai l’habitude de chroniquer presque tous les films vus au jour le jour, je préfère revenir ici sur quelques œuvres dont je n’ai pas parlées ici et qui furent de grands moments de cinéma.

Voilà cinq coups de cœur et cinq regards différents posés sur le monde.

 

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La scène arrive vers la fin du film. La veuve incarnée par Jane Wyman réalise soudain qu’elle a sacrifié sa vie (en refusant de se remarier avec un beau jardinier plus jeune qu’elle) à cause d’absurdes conventions sociales et pour des enfants qui vont bientôt la laisser seule. La caméra de Douglas Sirk saisit alors son reflet prostré dans l’écran vide du téléviseur qu’elle vient de recevoir à Noël…

Sans arrêt filmés derrière des vitres ou dans les reflets des miroirs, les personnages de Sirk évoluent dans un monde qui n’est que le « Mirage de la vie » (pour reprendre le titre d’un de ses plus beaux films et peut-être tout simplement du plus beau film du monde). Ils sont prisonniers de leurs préjugés, des conventions sociales, des circonstances historiques (le temps d’aimer et le temps de mourir) et passent à côté de la réalité de la vie et des sentiments. Le cinéma permet alors de traverser ce monde en miroir (par la splendeur des couleurs, des lumières, des mouvements de caméra…) et de dépasser les apparences. Les artifices du mélodrame explosent pour devenir ces édifices incroyablement émouvants, riches et complexes que sont les films de Sirk. C’est tout simplement sublime !

 

 

 (Tout ce que le ciel permet. Ed. Carlotta)

 

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Cria Cuervos, au-delà de la chansonnette sirupeuse qui fit son succès, c’est d’abord un regard : celui de la petite Ana Torrent avec ses grands yeux noirs qui lui dévorent le visage. Regard de l’enfance sur le monde des adultes et une société en décomposition (les derniers feux du franquisme). Dans cette grande demeure qu’il filme comme un cénotaphe, Saura confronte deux univers : la rigidité de la société des adultes et le mouvement de l’imaginaire enfantin. Il filme l’enfance sous tous ses aspects, y compris les plus cruels (la petite Ana peut être glaçante quand elle souhaite la mort des adultes). Mais l’enfance est aussi ce moment où un regard peut se réapproprier le monde et le réinventer par la puissance de l’imagination…

 

 

(Cria Cuervos. Ed. Carlotta)

 

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Le cinéma de Pierre Zucca tourne autour de figures paternelles énigmatiques. Le père est une image qui ne cesse de se dérober, à l’image de ce sculpteur faussaire et affabulateur qu’incarnèrent successivement Michel Bouquet (Vincent mit l’âne dans un pré) puis Claude Chabrol (Alouette, je te plumerai…)  ou de cet homme dont les activités restent mystérieuses aux yeux de sa fille qui cherche à percer son mystère (Léotard père et fille dans Rouge-gorge). Réservoirs inépuisables de fictions, les pères organisent le monde selon leurs fantaisies et perdent les enfants dans les méandres de leurs mensonges. Enfants condamnés à ne devenir que de simples « images » de ces « metteurs en scène » tout-puissants, à l’image de la fille de Michel Bouquet dans cet étonnant film « ruizien » qu’est le secret de monsieur L. Zucca est un cinéaste confidentiel à redécouvrir de toute urgence.

 

 (Le secret de monsieur L. Ed. Carlotta)

 

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Quelle place occuper dans un monde en perpétuelle mutation ? Venu sans doute des glorieux temps de l’utopie, le cinéaste qu’interprète Bruno Ganz dans le film d’Alain Tanner Dans la ville blanche a un rapport au monde qu’il compare à celui de l’axolotl en référence à la fable de Cortázar (« ce fut leur immobilité qui me fit me pencher vers eux, fasciné, la première fois que je les vis. Il me sembla comprendre obscurément leur volonté secrète : abolir l’espace et le temps par une immobilité pleine d’indifférence»). Il déambule dans Lisbonne, sans but précis, si ce n’est de retrouver un sentiment d’attache au monde et y retrouver une petite place à l’heure où toutes les grandes « fictions » de l’histoire sont mortes…

 

 

 (Dans la ville blanche. MK2 éditions)

 

 

Parvenir à trouver une place dans le monde loin des carcans de la société, ce fut ce à quoi Fernand Deligny souhaitait parvenir avec ses enfants autistes. Le cinéma fut l’outil idéal pour cet éducateur hors normes et permis d’offrir au « héros » du Moindre geste (l’étonnant Yves Guignard) une place dans le monde sans pour autant passer par la socialisation et le langage ; à l’image de ce plan magnifique où les branches de l’arbre semblent prolonger le corps réputé « inassimilable » d’Yves. Dans cet instant, Yves EST le monde et le Réel dans toute sa complexité…

 

 

 (Le moindre geste. Editions Montparnasse)

 

 

 

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