Actrices (2007) de et avec Valeria Bruni Tedeschi et Noémie Lvovsky, Mathieu Amalric, Louis Garrel, Valeria Golino, Maurice Garrel

 

Avec son premier film, l’intéressant Il est plus facile pour un chameau, Valeria Bruni Tedeschi prenait à bras le corps son roman familial et en tirait une fiction mi-psychotique (les atermoiements et les états d’âme pétris de culpabilité d’une pauvre petite fille riche), mi-drolatique. Avec Actrices, elle persiste dans cette veine autobiographique en dressant le portrait d’une actrice, Marcelline, qui désespère de rencontrer un mari et d’avoir un enfant alors qu’approche son quarantième anniversaire. Les rebondissements de l’actualité nous font espérer qu’elle persévérera dans cette voie pour nous offrir un troisième film qu’elle pourrait d’ores et déjà intituler Mon beauf (dans tous les sens du terme !) ! Ca pourrait être drôle !

Revenons au film qui nous intéresse ce soir et notons tout de suite que Valeria Bruni Tedeschi déjoue le piège de l’autofiction : si elle s’inspire visiblement de sa vie et de son expérience personnelle (elle débuta au théâtre des Amandiers avec Chéreau) pour peindre le portrait de Marcelline, c’est surtout dans le but de donner chair à de véritables personnages et d’engendrer, à défaut d’un bébé, de la fiction.

Actrices navigue donc entre deux eaux : d’un côté, la mise à plat d’un roman familial compliqué, de l’autre, une volonté appréciable de dépasser l’exercice de style égocentré en rompant avec le naturalisme par de légers dérapages narratifs ou des stridences dans le ton (cette manière qu’a l’actrice de rire quand on lui raconte des histoires atroces ou de pleurer au mauvais moment).

Le résultat est attachant : sans doute pas aussi mirifique que l’accueil critique peut le laisser présager (il y a encore des platitudes et  beaucoup de maladresses, -ne serait ce que ces perches de micros dont on aperçoit souvent les ombres !-  et le film tire parfois en longueur) mais qui ne mérite pas non plus d’être méprisé.

Valeria filme donc son métier, ses amours, sa famille et ses doutes. Elle est cette Marcelline engagée par un metteur en scène très prétentieux (la composition de Mathieu Amalric est assez savoureuse et nous console du navet d’Odoul où il n’était pas très bon) pour jouer le rôle de Natalia Petrovna, l’héroïne de Tourgueniev dans Un mois à la campagne. Son personnage est une femme vieillissante qui tombe amoureuse d’un jeune précepteur que joue ici, nous vous le donnons dans le mille, Louis Garrel. Mais plutôt que de nous ressortir le couplet un peu éculé des sentiments qui naviguent entre la vie et la scène et qui se nourrissent de l’une et de l’autre, la cinéaste joue ici le registre de la comédie avec ce metteur en scène qui donne des indications assez aberrantes et cette actrice qui fait mille caprices. Valeria Bruni Tedeschi ne s’épargne pas en se filmant sous un jour par forcément très bon : elle apparaît (une fois de plus) comme une femme borderline, à la limite de la dépression ou de la crise de nerfs et comme quelqu’un d’incroyablement égocentrique et capricieux. Ce portrait sans concession permet alors d’échapper au narcissisme et d’offrir à un autre personnage (Nathalie, l’assistante à la mise en scène, excellemment jouée par Noémie Lvovsky) le soin d’être sa « juge ». Elle vit une situation à peu près opposée à celle de Marcelline (elle est mariée et vient d’avoir un enfant) mais n’en est pas plus heureuse pour autant. C’est ce beau personnage qui permet d’équilibrer le film et de lui éviter de glisser dans la complaisance.

Parallèlement à ce regard porté sur le métier de Marcelline, la cinéaste nous confronte à un univers familial compliqué avec des partis pris de mise en scène assez intéressants même s’ils ont déjà été vus. On songe notamment à Woody Allen (qu’elle cite abondamment dans les entretiens qu’elle a pu donnés) dans cette manière de faire apparaître naturellement des personnages disparus (belles scènes que celle avec Maurice Garrel dans le rôle du père décédé ou celle avec Robinson Stevenin, amour de jeunesse mort également). Bonne idée également de personnifier réellement l’héroïne de Tourgueniev, Natalia, qui vient jouer le rôle de bonne et mauvaise conscience de Marcelline (une idée d’autant meilleure que le rôle est tenu par la sublime Valeria Golino !). Le film est fait de cette matière concrète (la vie de Valeria) et de ces choses impalpables qui tournent autour d’elle (les disparus, les rôles qu’elle a tenus, les gens qu’elle a croisés…).

A un moment donné, Marcelline joue et finit sa scène par un geste ample. La caméra décrit alors un mouvement aérien en arc (totalement gratuit et donc très beau) pour cadrer le partenaire sur scène. Tout Actrices est dans ce petit mouvement de caméra : une manière d’être très près de ses personnages et d’accompagner jusqu’au bout leurs gestes tout en s’élevant d’un cran par rapport au quotidien.

Cela donne quelques jolis moments, mis en scène avec talent (lorsque les personnages sont sur la scène de théâtre, je trouve que la cinéaste parvient à les filmer de manière intéressante par des jeux intelligents sur les changements d’axes et de valeurs de plans) même si tout n’est pas du même acabit.

Il faut le redire une fois de plus, il me semble que la critique fait un tort considérable en encensant sans mesure ce genre de film. J’ai pensé d’ailleurs à un autre film sorti cette année (dont j’ai pratiquement tout oublié !) : l’estimable Très bien, merci d’Emmanuelle Cuau.

Voilà deux jeunes femmes qui, dans une certaine limite (celle d’un cinéma d’auteur français malgré tout assez étriqué), révèlent un certain talent. Mais les porter aux nues comme le font les professionnels de la profession ne leur offrira aucun moyen de se remettre en question et de viser par la suite des choses de plus grande ampleur (je ne parle pas en terme de moyens financiers mais véritablement en terme artistique).

Comme Emmanuelle Cuau, Valeria Bruni Tedeschi sait très bien diriger les acteurs, sait faire grincer les choses au bon moment et émouvoir quand il le faut par de véritables moyens cinématographiques. Mais au bout du compte, il faut aussi reconnaître qu’Actrices ne fait pas le poids face à des films comme Opening night ou Love streams de Cassavetes, deux grands films sur la manière dont s’entremêlent la vie et la scène.

Il ne s’agit en aucun cas de le démolir mais plutôt de noter ses véritables qualités en espérant qu’elles lui  permettront à l’avenir de faire le vrai grand film dont elle est capable…

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