De sang froid (1967) de Richard Brooks avec Robert Blake, Scott Wilson

 

Mon petit frère a eu l’excellente idée de m’offrir un double DVD consacré à Truman Capote. D’un côté, le très estimable film de Bennett Miller dont je ne vous reparlerai pas puisque j’ai déjà consacré une note à ce film (voir ici) ; de l’autre, la célèbre adaptation du roman mythique de Capote par Richard Brooks que je ne connaissais pas. Puisque j’en suis à faire une honteuse autopromotion, persistons dans cette voie en rappelant que j’ai également consacré une note à De sang froid le livre (descendons dans ma cave) et, chose plus importante, que je le considère comme un pur chef-d’œuvre, donc quelque chose de difficilement transposable au cinéma.

Sauf que la caractéristique du style de Capote pour ce livre, c’est d’appliquer au romanesque les codes du journalisme d’investigation. Du coup, cette description minutieuse et glaciale d’un fait divers monstrueux (une famille modèle américaine assassinée sauvagement par deux petites frappes pour quelques dizaines de dollars et un poste de radio !) s’accorde fort bien avec le caractère « réaliste » du cinéma et de sa capacité à enregistrer froidement des faits.

Même si Richard Brooks s’attache à une certaine véracité des faits (il a tourné la scène du meurtre dans la véritable ferme des Clutter), son film n’a pourtant rien d’un documentaire et commence au contraire comme un véritable film noir « à l’ancienne » avec un montage très sec (on pense à certains Fuller ou aux meilleurs Aldrich) et un noir et blanc violemment contrasté.

C’est amusant d’ailleurs de constater que ce film est difficilement « datable ». Tourné en 67, il est presque de la même époque que les chiens de paille de Peckinpah et qu’Orange mécanique de Kubrick. Je cite ces deux titres car De sang froid s’inscrit d’une certaine manière dans ce courant de films proposant une réflexion sur l’évolution de la violence contemporaine et notamment dans cette manière qu’elle a de s’immiscer jusque dans la sphère privée et familiale. Pourtant, le film de Brooks ne ressemble en rien aux films du « nouvel Hollywood » et se rattache plutôt à ces cinéastes « de transition » entre le classicisme serein des années 30-50 et cette nouvelle vague. Je citais Aldrich (j’ai souvent pensé à ce chef-d’œuvre qu’est En quatrième vitesse) et Samuel Fuller mais on pourrait aussi évoquer Anthony Mann et ses westerns inquiets. Il y a chez Brooks le même nihilisme que chez les deux premiers cités (pas de rédemption possible pour les deux assassins, aucun sentiment qu’une « justice » est finalement possible…) et une même sécheresse dans le découpage de la mise en scène.

Certaines scènes sont vraiment très impressionnantes d’un point de vue cinématographique par leur incroyable violence : je pense à la reconstitution du carnage autour duquel tourne tout le film et le récit de Capote mais aussi à la pendaison finale de Perry. Cette violence n’est pas forcément « frontale » mais elle est incroyablement plus forte car le cinéaste a recours à des partis pris de montage très expressifs (au lieu de montrer les assassinats, Brooks raccorde sur des plans violemment contrastés et joue beaucoup sur le son pour donner de l’intensité aux scènes).

Il parvient ainsi à trouver un bon compromis entre l’horreur de la chose montrée (car Capote ne reculait devant aucun détail sordide pour tenter d’éclaircir le mystère de son fait divers) et cet indicible, ces gouffres que laisse entrevoir ce massacre et qui ne peuvent être montrés, juste suggérés (c’est ce que Brooks arrive très bien à faire).

De sang froid, le film, retrouve l’opacité et l’ambiguïté du livre. Comme Capote, le cinéaste avance certaines pistes (sociales : les deux tueurs viennent de milieux défavorisés; psychanalytiques, le rapport de Perry à sa mère alcoolique et à son père violent…) mais elles ne font que renforcer le mystère plutôt que de l’éclaircir. C’est d’ailleurs amusant de constater l’évolution de Richard Brooks, qui fut considéré d’abord comme un cinéaste de « gauche », capable de traiter les problèmes sociaux par beaucoup de bonne volonté et un humanisme à tout crin (voir le sympathique mais vieilli Graine de violence).

Or, au fur et à mesure qu’il a vieilli, la vision du cinéaste s’est noircie et ont disparu peu à peu toutes ses illusions. De sang froid marque une étape importante de cette évolution qui se confirmera près de dix ans plus tard avec le très noir A la recherche de Mr Goodbar

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