Breaking news (2004) de Johnnie To

 

Je poursuis ma découverte de l’œuvre de Johnnie To, chouchou actuel des rédactions parisiennes (il est toujours bon de s’esbaudir devant le cinéma d’action asiatique et To est venu à point nommé pour remplacer un John Woo en perte de vitesse et plutôt flagada ces derniers temps !). Comme je vous le disais il y a fort longtemps, je n’avais absolument pas aimé The mission, film auquel, à vrai dire, je n’avais rien compris mais par la suite, nous passâmes un agréable moment en découvrant en salle Election.

A ce jour, Breaking news est le troisième film que je vois de ce cinéaste et assurément le meilleur du lot. Sans doute pas un chef-d’œuvre (mais j’avoue, mea culpa, n’avoir pas spécialement de goût pour ce cinéma de pure action, bourré jusqu’à la moelle de fusillades et d’explosions) mais un film dont la rare virtuosité n’exclut pas une véritable finesse dans le propos. J’ai beaucoup pensé à De Palma dans cette façon qu’à To de convoquer sans arrêt toutes les formes de l’image et de les travailler. On atteint ici une sorte de limite à un maniérisme exacerbé (à côté de Breaking news ; De Palma, c’est Bresson !) mais le résultat a son charme.

Comme souvent De Palma, To débute son film par un incroyable morceau de bravoure. J’avoue n’avoir pas été vigilant dès le début mais une grosse partie de la première séquence, me semble-t-il (mes collègues plus attentifs me diront si c’est le cas) est tournée en un seul plan. La caméra fouille tous les recoins du plan, présente des individus dont on ignore tout, s’éloigne, se rapproche, s’envole soudainement grâce à un très beau mouvement de grue alors qu’éclate une fusillade. D’un point de vue purement plastique, c’est admirable même si l’on est alors loin de saisir les enjeux de ce qui se passe.

Nous n’en saurons d’ailleurs pas beaucoup plus, si ce n’est que quelques malfrats se retrouvent en cavale et qu’ils ont à  leurs trousses un flic nerveux et persévérant. Et c’est là qu’intervient la bonne idée de To : puisque la police a laissé des plumes en terme d’image dans la première fusillade (une vidéo montrant un flic se rendant lâchement et suppliant un des gangsters de l’épargner) ; une séduisante commissaire décide d’utiliser les mêmes armes et invite tous les médias à venir suivre en direct cette traque infernale.

Breaking news se laisse alors gagner par une dimension ludique qui fait la force des bons films d’action contemporains (je pense à certains John McTiernan) : la classique opposition du bon contre le méchant se double d’une véritable lutte pour la maîtrise de la mise en scène dans la guerre des images. Et comme De Palma autrefois, To joue sur toutes les possibilités de manipulation de l’image. C’est d’abord une vidéo diffusée sur Internet qui montre que les policiers n’ont pas la maîtrise des opérations et qu’ils ont subi un revers. Contre-attaque : la police se disculpe de toute accusation de lâcheté en organisant un reportage où le flic « trouillard » explique qu’il ne regrette pas son geste car il a une famille à nourrir. Les tueurs cherchent alors, eux aussi, à attirer la sympathie en se filmant en train de manger joyeusement avec leurs otages…

Cette lutte pour le monopole de l’image permet à To de la triturer à loisir en scindant le champ de bataille grâce au « split-screen » (ça ne vous rappelle pas quelqu’un ?) et en démontant de manière assez ironique les méthodes de fabrication de l’image et son pouvoir de manipulation (rassurez-vous, ça n’existe qu’à Hongkong, des médias pareils ! Peut-on imaginer en France, au hasard !, qu’un président esclavagiste convoque tous ses laquais journalistes pour leur tenir une conférence de presse visant à donner une bonne image de lui et prouver sa compétence ? On en rirait, non ?)

Le propos n’est pas forcément neuf mais il est tenu avec humour et fermeté le temps d’un film d’action haletant, sans le moindre temps mort (1h 25, ma bonne dame ! Pas une minute de plus et rien de trop ! Si les fabricants de films hollywoodiens obèses pouvaient en prendre de la graine !) . Johnnie To nous offre même, cerise sur le gâteau, un très beau final où l’absurdité des deux mises en scène empêche une certaine vérité des sentiments de naître. Tout aurait pu être autrement pour nos deux personnages principaux mais ils étaient prisonniers de leurs images respectives. On ne sort pas indemne de cette guerre…

 

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