A vot’ bon cœur (2004) de et avec Paul Vecchiali et Françoise Lebrun, Elsa Lepoivre

 

J’ai fait erreur lorsque j’ai qualifié il y a quelques mois Jean-Pierre Mocky de « dernier des mohicans ». Non pas que l’auteur du Deal et du Miraculé ne méritât point cette distinction de « mohican » mais parce qu’il n’est pas tout à fait le dernier. Je vous ai parlé ici même de Luc Moullet (vous connaissez ?), mais il ne faudrait pas non plus oublier le grand Paul Vecchiali, cinéaste secret mais toujours passionnant.

Comme Mocky, Vecchiali est un anar au grand cœur mais son cinéma est moins « rentre dedans » et vise moins une guérilla permanente contre la société qu’une relecture des formes populaires du cinéma français des années 30-50. Passionné par les romances de quatre sous et le mélodrame, Vecchiali joue toujours sur les clichés qu’il gonfle au point d’atteindre le mythe (je n’invente rien : c’est ce qui est dit dans A vot’ bon cœur et qui n’est pas faux).

Passion du mélodrame qui s’exprime dans La guêpe, improbable film sur une histoire d’amour passionnée entre une jeune comédienne et une petite frappe toxicomane et dont certains dialogues sont chantés. Entre les quelques extraits de cette fiction fragmentaire, Paul Vecchiali se met lui-même en scène comme cinéaste abandonné de tous et qui décide de se venger en tuant un par un tous les membres de la commission de l’Avance sur recette. Et pour compléter le tout, il enchâsse entre ces deux mouvements une histoire de Mandrin des temps modernes qui cambriolent les riches pour redistribuer les billets aux pauvres, ce qui est ma foi fort généreux et plutôt louable même s’il conviendrait de définir réellement ce que sont la pauvreté et la richesse. Car les riches d’aujourd’hui ne seraient-ils pas tout simplement des pauvres avec de l’argent, incapables de combler le vide abyssal de leurs médiocres existences sinon en achetant plus de cochonneries inutiles en périodes de soldes ? Mais je digresse, je digresse…Revenons à nos moutons.

A vot’ bon cœur est un film fourre-tout, qui frise parfois le foutage de gueule (nous ne sommes pas très loin de la consternation face à certaines scènes improbables) et qui finit pourtant, à force d’énergie et de désespoir joyeux, par emporter l’adhésion.

Prenons par exemple l’idée de faire chanter les personnages et de rendre hommage à Demy. On sait que depuis quelques temps, le cinéma du regretté grand Jacques attire les vautours (vous voyez de qui je veux parler ?) et ce n’est pas sans une certaine suspicion que l’on découvre les premières scènes où les comédiens chantent abominablement faux et a capella. On se demande alors quel accès de démence a saisi Vecchiali pour qu’il ait cette idée. Et puis voilà qu’au détour d’une séquence, il nous offre un moment magique où Françoise Lebrun chante un texte totalement dédié à Demy : la voix et la musique ont beau être approximatives, l’émotion nous submerge et c’est très beau.

A vot’ bon cœur fonctionne de cette manière : des scènes tournées à l’arrache en vidéo et qui font très « système D » auxquelles succèdent de véritables morceaux de cinéma, truffés d’émotions diverses (les extraits de la guêpe sont très forts et l’on constate avec joie que Vecchiali n’a rien perdu de son talent pour  extraire des situations les plus stéréotypées une émotion brute).

On sent le cinéaste amer mais jamais aigri. Même son abracadabrante histoire de liquidation des membres de l’Avance sur recette fait plus blague de potache (à laquelle se prêtent joyeusement Delahaye, Le Glou, Bouvet et Treilhou entre autres) que véritable règlement de compte. Le spectateur navigue entre des passages assez amusants (la commission évoquant le cas Vecchiali le temps d’un long plan transformé en damier à la Averty) et ceux où l’émotion qui naît n’a rien d’artificiel (un court extrait de Trous de mémoire et nous voilà noués par la sensation du temps qui passe).

On se dit alors que même si son film est bancal, fauché, parfois mal foutu ; un cinéaste comme Vecchiali reste  très précieux aujourd’hui. Voilà un type qui aime à la folie les œuvres de Grémillon, de Duvivier, d’Ophuls, de Demy et qui se permet même un clin d’œil au Godard d’A bout de souffle ; qui tourne depuis près de 40 ans des films toujours stimulants et qu’on ne laisse presque plus s’exprimer.

Comme il est dit dans le film, un monde qui abandonne à la fois son artisanat et sa recherche est un monde condamné à court terme…

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