Sweeney Todd (2007) de Tim Burton avec Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Alan Rickman

 

J’attendais beaucoup du dernier Tim Burton. La coutume veut que je ne lise pas les critiques des films que j’ai l’intention de voir mais difficile de faire le mort au point de ne pas entendre le son d’une rumeur extrêmement élogieuse (je reconnais avoir même lu l’accroche de la critique de Télérama où le film est tout simplement qualifié d’ « ahurissant »). J’y allais donc en toute confiance, d’autant plus que les films que le cinéaste tourne avec Johnny Depp comptent parmi les meilleurs de son œuvre (qu’on songe à l’insurpassable et sublime Edward aux mains d’argent). Eh bien voilà, je suis sorti de la projection un peu déçu. Je n’irai pas jusqu’à dire que je n’ai pas pris un certain plaisir à voir les frasques sanglantes de ce barbier gothique mais quelque chose m’a empêché d’y adhérer totalement. Tim Burton me semble avoir perdu tout sens de la nuance et son film me paraît beaucoup plus lourd que les précédents, beaucoup moins inventif. Nous sommes à l’extrême limite du ressassement. Nous allons y revenir…

L’aspect le plus intéressant de Sweeney Todd, c’est son personnage principal. Ce barbier revenu des limbes (les très beaux plans qui ouvrent le film) est un véritable fantôme, un spectre qui ne dépareille pas dans la galerie des créatures burtoniennes. Lorsqu’il retrouve ses rasoirs et qu’il affirme avoir retrouvé désormais l’usage complet de son bras, on se dit que le cinéaste va à nouveau nous proposer un de ces corps « mutants » (les mains d’argent ayant fait place aux lames de rasoir) et redonner un souffle d’air frais au cinéma de genre qu’il affectionne tant.

Une petite parenthèse s’impose ici. Ce qui me passionne chez des gens comme Burton, les Coen, Sam Raimi et quelques autres, c’est la manière dont ils se réapproprièrent le cinéma de genre après une longue parenthèse maniériste (il en est question brièvement mais brillamment ici) qui venait de l’enterrer en grandes pompes. Pour ces jeunes cinéastes qui débutent au milieu des années 80, il ne s’agit plus d’avoir une approche « formaliste » du genre (comme Léone avec le western ou De Palma avec le policier) mais de se réapproprier ses codes et d’y replonger des corps contemporains. Ce cinéma, qui se joue après la mort du genre (voir les fantômes de Beetlejuice) est un cinéma de transplantations et de greffes, un cinéma qui joue sur les corps « mutants », qu’ils soient incomplets (Edward qui sort sans mains du laboratoire d’un Vincent Price assurant le relai avec les « classiques » du cinéma de genre, le chevalier sans tête de Sleepy hollow…) ou « génétiquement modifiés » (les transplantations de têtes humaines sur des corps de chiens dans Mars attacks !). Ce jeu sur les corps permet également d’offrir une réflexion sur la « normalité » et « l’anormalité » et de questionner de manière très stimulante la société américaine d’aujourd’hui (voir le regard ironique porté sur la médiocrité des banlieues pavillonnaires dans Edward aux mains d’argent).

Sweeney Todd confirme, après le curieux (mais très réussi) Charlie et la chocolaterie que le cinéma de Burton semble prendre un nouveau virage. Il ne s’agit plus, si on me passe le mauvais jeu de mots, d’apporter du sang neuf au genre mais au contraire de l’en vider, de détruire les machines auxquelles on lui a confié les commandes. Les litres d’hémoglobines déversés dans ce film semble là pour achever le genre : le passé ne peut plus vivre (on ne dira rien de la fin mais c’est très clairement montré), il n’y a plus de filiation possible, il ne reste plus rien…

Ce n’est pas tant le pessimisme du film qui m’a gêné qu’un scénario que je trouve plutôt mauvais et très schématique. Vous serez peut-être étonnés de cette réflexion puisque vous savez que mon dada, c’est la mise en scène et qu’un scénario n’est jamais gage de qualité ou de faiblesse d’un film (trois lignes griffonnées  sur un ticket de métro peuvent donner lieu à de très grands films !). Le problème, c’est lorsque le scénario est si omniprésent qu’il bride les mouvements du réalisateur. Et c’est un peu le cas ici. Alors nous aurons droit à des personnages ultra caricaturaux (le bailli concupiscent et sans doute pédophile, l’ignoble juge interprété savoureusement par Alan Rickman), à beaucoup de clichés (le couple de tourtereaux, extrêmement fade) et de schématisme. Et n’oublions pas que le film est avant tout une comédie musicale. Nous devrons donc souper beaucoup de chansons (pas très bonnes) que Tim Burton filme sans génie (généralement en plans rapprochés assez anonymes).

Ces morceaux musicaux ralentissent beaucoup le rythme et ne font qu’asséner ce qui aurait bien gagné à n’être que suggéré. Si Burton s’en sort quand même, malgré la médiocrité de son matériau de départ, c’est grâce à son personnage et à son goût pour la noirceur. On lui sait gré, par exemple, d’évincer presque totalement la romance entre les deux jeunes premiers.

Dans cette rage de tout détruire, Burton laisse cependant affleurer une certaine nostalgie et parvient à transcender ce récit de vengeance, a priori peu sympathique, en un conte macabre au romantisme très morbide (le dernier plan est d’une saisissante beauté). De plus, le film n’est pas dénué d’un certain humour noir bienvenu. J’aime particulièrement ce moment où notre barbier et sa compagne (la très burtonienne Helena Bonham Carter) décident de s’adonner, à l’instar du bon Georges de la Fouchardière1, au cannibalisme justicier.  La chanson où ils comparent les mérites respectifs d’une tourte au prêtre ou au poète est, si j’ose dire, savoureuse.

L’ensemble n’est pas méprisable mais laisse un arrière-goût de déception. Tim Burton ne semble plus y croire et sa rage a quelque chose d’un peu puérile (« le monde est dégueulasse » : on dirait le couplet d’un adolescent gothique attardé !). Son film est moins beau que ses précédents mais nous sommes quand même curieux de voir le virage que va prendre son œuvre après ce film car celui ci a des allures mortifères de testament…



1 « Le préjugé contre le cannibalisme est un pur préjugé. De même que nous mangeons sans dégoût du poulet, du veau et du porc, ne mangerions-nous pas avec appétit du salmis de danseuse, de l’escalope de flic et du râble de curé ? » (le diable dans le bénitier)

 

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