Orgueil ou préjugés?
La guerre des mondes (2005) de Steven Spielberg avec Tom Cruise, Tim Robbins
Une petite observation pour commencer : avant même qu’il écrive sa note, j’avais la certitude que le toujours très recommandable Hyppogriffe allait détester le film des frères Coen. C’était joué d’avance et je me suis demandé, en découvrant la guerre des mondes de Spielberg dans quelle mesure nous n’étions pas déjà prisonniers de nos préjugés lorsque nous découvrons un film. Attention, je ne suis pas en train de débiner mon voisin en l’accusant d’être prisonnier de ses préjugés (au contraire, je le dis très sincèrement : les textes où il étrille les films que j’ai défendus –Cronenberg, les Coen…-me paraissent bien plus stimulants et intéressants que les platitudes « universitartreuses » qui tiennent lieu de louanges chez les ténors de la critique professionnelle !) et il a d’ailleurs parfaitement de raison de dire que nous (je m’englobe dans ce nous) sommes peut être tous, a contrario, victimes de préjugés favorables aux Coen qui nous poussent à voir que ce que l’on attend de ces cinéastes (des thèmes récurrents, des motifs, etc.) et non pas ce que sont réellement leurs films…
Et même si contrairement à l’adage répandu, il me semble que seuls les goûts et les couleurs méritent d’être discutés, ces textes mettent en lumière l’extrême difficulté à définir des critères objectifs pour évaluer un film. Nous attendons tous, individuellement, des choses différentes du cinéma et c’est ainsi que nous nous forgeons des grilles de lecture qui vont s’accorder ou non aux films découverts.
Sans l’avoir vu, je sais pertinemment ce qui m’attend demain lorsque j’irai voir le nouveau Kusturica (du burlesque échevelé, un sens du baroque fellinien, des fanfares tziganes…) et, même si personne n’est à l’abri d’une déception, je suis quasiment certain que le résultat me satisfera comme je suis certain qu’il fera hurler de rage les détracteurs habituels du cinéaste !
J’en arrive à Spielberg : si ces réflexions un brin banales me sont venues, c’est que La guerre des mondes a obtenu, lors de sa sortie, un accueil incroyablement dithyrambique. Et d’une certaine manière (ironie du sort !), j’entends très bien ce qu’on a pu louer chez Spielberg et qui se rapproche d’ailleurs de ce que j’ai aimé chez les Coen (perte de sens dans une Amérique menacée, longue chasse à l’homme, portrait d’un individu qui lutte pour sa survie…).
Et pourtant, autant j’ai trouvé No country for old men formidable, autant cette guerre des mondes m’a semblé totalement lamentable !
Sans doute ne parvins-je pas à me débarrasser de certains préjugés mais je pense plutôt que ce qui me touche au cinéma n’existe définitivement pas chez Spielberg et que je ne vois plus que ce qui m’horripile chez lui.
Listons :
-D’abord, ce moralisme pleurnichard tout crotté de puritanisme yankee (comme le disait déjà il y a fort longtemps le bon Georges de la Fouchardière : « Ah ! Combien le vice paraît aimable quand on contemple la vertu américaine… »). Ce récit catastrophe d’une invasion extra-terrestre ne semble qu’un prétexte pour que Tom Cruise retrouve son rôle de père et qu’il prenne en charge sa petite famille. La scène où l’insupportable gamine demande à son père une berceuse est dégoulinante de mièvrerie familialiste. Quand au fils, ado décérébré, difficile de faire plus tête à claques mis à part quelques pseudos intellectuels français (je me joins de tout cœur à Hyppogriffe pour mollarder grassement (je suis enrhumé !) sur l’immonde « Fine, quelle crotte ! » (JE.Hallier)).
-Ensuite, cette incapacité à incarner quoi que ce soit. Je m’explique : chez Spielberg, tout doit être lisible immédiatement et l’efficacité doit sans arrêt l’emporter sur une éventuelle opacité du réel ou sur l’ambiguïté. Il ne peut donc y avoir deux actions concomitantes, ni même d’arrière-plan dans les scènes. C’est très frappant dans les scènes de foule où la masse n’existe absolument pas et où la caméra ne s’intéresse qu’à Tom Cruise, comme si la mort de tous ces gens comptait finalement moins que celle du héros (ça m’a d’ailleurs rappelé ce plan que je considère comme l’un des plus obscènes de toute l’histoire du cinéma, celui de « la petite fille rouge » que Spielberg isole de la foule des déportés dans La liste de Schindler).
-Enfin, cette manière de vouloir sans arrêt assommer le spectateur par le spectaculaire et les effets pyrotechniques sans réellement construire un espace avec la mise en scène. Spielberg cherche sans arrêt l’ébahissement chez le spectateur et ça se traduit toujours par la même manière : il filme d’abord (généralement en contre-plongée) des individus bouches bées et yeux écarquillés en train de voir ce que le spectateur ne va pas tarder à découvrir. Ce dernier doit d’abord sentir la surprise chez les personnages pour ressentir lui-même le choc ensuite. Sauf qu’encore une fois, le numérique empêche toute édification d’un espace cinématographique. Lorsque chez les Coen, je vois le héros poursuivi par un chien dans une rivière, j’y crois ! Parce que les cinéastes jouent sur l’espace, le montage et les personnages s’inscrivent réellement (et de quelle manière !) dans un lieu.
Peut-être ai-je perdu toute capacité d’émerveillement enfantin mais dans la guerre des mondes, je ne vois que Tom Cruise s’agitant devant des catastrophes en transparence. Je n’y crois pas une seconde (pas plus qu’aux dinosaures de Jurassic Park ou au jeu vidéo guerrier qui ouvre le tout pourri Il faut sauver le soldat Ryan) et j’avoue avoir été vite accablé par ces enchaînements de tornades et d’explosions qui ravagent tout le décor sans décoiffer la star !
Au bout du compte, le film de Spielberg me paraît être un succédané de ces films catastrophe à l’ancienne (style Airport), ravalé à coups d’effets numériques et de lance-flammes.
Vous aurez beau avancer tous les arguments que j’entends déjà de loin (le terrorisme, le 11 septembre, blabla…), je n’arrive pas à trouver le moindre intérêt à ce gros nanar adipeux…