Un enfant dans la foule (1976) de Gérard Blain avec Jean-François Cimino, Claude Cernay

 

Mocky, Moullet, Vecchiali : il est de tradition de défendre ici les francs-tireurs du cinéma français. A cette liste, il faudrait ajouter sans conteste Gérard Blain, acteur fétiche de la Nouvelle Vague puis réalisateur d’une œuvre singulière et incroyablement forte qu’il faudrait redécouvrir toutes affaires cessantes.

De tous les cinéastes que je viens de citer, Blain est sans doute le plus écorché vif et le plus fiévreux. Cette sensibilité à fleur de peau se retrouve dans tous ses films, que ce soit Le rebelle ou le pélican que j’ai défendus en ces pages (voir mon index) ou dans ce très beau Un enfant dans la foule, œuvre incroyablement personnelle même s’il est difficile d’affirmer qu’elle est totalement autobiographique.

Gérard Blain trace ici le portrait d’un jeune adolescent dans la tourmente de la seconde guerre mondiale et de l’Occupation. Paul est rejeté par une mère qu’il adore et recherche dans la compagnie d’hommes plus âgés une affection que lui a toujours refusée un père absent…

Roman d’apprentissage, éveil à la sensualité, Un enfant dans la foule est avant tout une image forte et sensible de l’enfance blessée.

Le film s’ouvre sur le plan du dos de la père et de la mère, à l’avant d’une voiture tandis que retentissent derrière les pleurs de Paul enfant. A sept ans, alors que ses parents le raccompagnent à la pension, il fait déjà l’expérience de la douleur et de la séparation. Gérard Blain ne va jamais cesser ensuite de montrer ces barrières qui se hissent entre Paul et cette mère qu’il aime par-dessus tout alors qu’elle porte son affection sur sa grande sœur ; et, plus généralement, entre le jeune homme et le monde. De fait, la mise en scène va sans arrêt se concentrer sur ces « obstacles » : personnages filmés de dos (la mère qui ne se retourne même pas alors que son fils vient de lui offrir un cadeau), portes closes sur lesquelles se heurte Paul (sa famille refuse de lui ouvrir quand il est soupçonné de vol)… Blain construit son film en bouchant la profondeur de champ et en montrant son jeune héros prisonnier d’un monde trop étriqué pour lui. Seul le plan final le montre s’éloigner dans la profondeur du cadre. Il faut noter d’ailleurs qu’à l’occasion, il offre du feu à un passant incarné par Blain lui-même avant de disparaître : passage de relais symbolique entre une enfance qui s’évanouit et l’homme qu’est devenu le cinéaste…

Dès lors, Paul va chercher refuge vers les hommes qui lui ouvrent les bras, même si c’est pour des raisons que la morale dominante judéo-chrétienne réprouve (Blain, sans jamais sombrer dans la caricature, filme très bien ce contexte religieux lourd où les enfants se voient reprocher de ne pas aller à la messe tous les dimanches). Malgré le caractère « scabreux » du sujet (on imagine les cris d’orfraies que provoquerait un film comme celui-ci tourné aujourd’hui !), Un enfant dans la foule reste une œuvre incroyablement pudique où Blain fait preuve d’un remarquable sens de l’ellipse et de la litote.

Il faut, bien entendu, citer Bresson dont l’œuvre a profondément inspiré et marqué le cinéma de Blain. On retrouve en effet ici ce goût pour l’épure, pour un montage tranchant comme le scalpel et une émotion totalement retenue (les acteurs jouent avec une voix blanche). Cette référence écrasante ne doit cependant pas faire oublier l’originalité de l’œuvre de Blain dont le cinéma s’est toujours placé du côté de l’individu contre la meute (voir Le rebelle).  

Un enfant dans la foule fixe peut-être à jamais le pourquoi et le comment de ce regard éternellement réfractaire à la société. L’une des scènes les plus fortes du film est ce moment où Paul assiste à l’humiliation d’une femme tondue à la Libération par une foule avide de lynchage. Paul prend alors conscience de l’horreur que lui inspire cette foule, de ce conformisme moutonnier qu’on inculque aux individus dès la plus tendre enfance (les scènes à l’école, à l’église ne cessent de montrer ce formatage). Le plan de cette femme nue, pleurant à genoux est totalement bouleversant et possède la beauté des plus grands moments du cinéma de Bresson. Lorsque Paul s’approche d’elle et se contente de lui toucher l’épaule en signe de compassion, Blain filme mieux que quiconque cette part d’enfance à jamais réfractaire à la connerie des adultes.

Pour conclure, je laisse la parole à Paul Vecchiali critique qui, dans la saison cinématographique 1976, écrit à propos de ce film : « Un enfant dans la foule, c’est le vrai regard de l’enfance qui, au-delà des conjonctures, se porte sur l’essentiel, laissant en coulisses, c'est-à-dire aux adultes, tout ce qui est spectaculaire ou événementiel. »

On ne saurait mieux dire…

 

NB : Mille mercis à Bernard de m’avoir envoyé ce DVD dont il fut l’éditeur inspiré. Outre le très beau film de Blain, il faut signaler un véritable travail éditorial qui nous offre de nombreux et passionnants boni. Je n’ai pas eu le temps encore de regarder la leçon de cinéma de Gérard Blain (j’ai hâte) mais j’ai été ému par l’interview de Claude Cernay et fasciné par les images que Blain fit sur le tournage d’Hatari de Hawks, film dans lequel il jouait aux côtés de John Wayne…

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