To have or not to have
Hamlet goes business (1987) d’Aki Kaurismäki avec Kati Outinen
Il y a quelque chose de pourri en république de Finlande !
Le jeune Hamlet soupçonne sa mère et son amant, un ignoble spéculateur prêt à vendre tout le patrimoine familial et à fermer des chantiers pour se lancer dans la vente de canards en plastique ( !), d’avoir tué son père. Il décide alors de se venger tandis que pour l’éloigner des affaires, ses ennemis lui envoient Ophélia dont il tombe amoureux…
Voilà donc la plus célèbre des tragédies de Shakespeare passée à la moulinette de l’humour caustique et glacial d’Aki Kaurismäki. Ce fut d’ailleurs une de ses spécialités au début de sa carrière puisqu’il adapta également pour l’écran le Crime et châtiment de Dostoïevski.
Le résultat est très mineur et ne possède pas encore l’âpre et somptueuse beauté des grands films du cinéaste que sont l’homme sans passé, Au loin s’en vont les nuages ou ce petit chef-d’œuvre d’humour noir qu’est la fille aux allumettes. Hamlet goes business est un pur exercice de style même si c’est dans un sens un peu différent de celui que je donne généralement aux films de petits malins qui se contente d’exhiber un savoir-faire plutôt que de penser en terme de mise en scène. Chez Kaurismäki, exercice de style signifie qu’il recherche encore ce qui deviendra son style, qu’il le peaufine et qu’il se devine sous les allures potaches du projet (transposer Hamlet du côté des grands entrepreneurs et de la spéculation).
Tout n’est pas encore parfaitement maîtrisé mais on remarque déjà le travail rigoureux sur le cadre, sur la simplification des lignes (un des meurtres que commet Hamlet est filmé en deux plans, magnifiquement raccordés à la de manière de Bresson) et se devine également la direction qu’il a choisi vers l’épure.
On retrouve aussi le ton Kaurismäki qui nous est si cher : humour pince-sans-rire (j’adore ce moment où le grand patron envoie deux de ses hommes en mission en leur disant de faire passer ce voyage pour de l’agrément et qu’ils se contentent de rétorquer, l’air désabusé, « -En Norvège ? »), tendresse pour les personnages modestes (on retrouve d’ailleurs toute la bande d’acteurs complices du cinéaste, du regretté Matti Pellonpää à l’étonnante Kati Outinen (qui joue une Ophélie se noyant dans sa baignoire !)) et une vision assez caustique et froide d’un monde régie par les lois du commerce, du fric et de l’exploitation brutale de l’homme par l’homme.
Les films de Kaurismäki ne sont, certes, pas des brûlots politiques mais il y a toujours un arrière-plan social qui me touche car il n’est jamais asséné de manière didactique. Les personnages priment toujours.
Œuvre de jeunesse, plutôt agréable à suivre et très soignée (le noir et blanc est très beau et il y a une véritable recherche plastique sur la lumière dans ce film) ; Hamlet goes business se regarde avant tout comme un galop d’essai où l’on aime à repérer, en germe, toutes les qualités qui feront de la filmographie de Kaurismäki l’une des plus abouties d’aujourd’hui en Europe…
NB : Kaurismäki a réussi l’exploit d’adapter Hamlet sans faire dire à son héros : « to be or not to be » ! C’était une véritable gageure !