Parce que je rêve...
Léolo (1992) de Jean-Claude Lauzon avec Ginette Reno, Julien Guiomar
Léolo est un film qui m’a marqué lorsque je l’ai découvert en salle mais, comme je le rappelais lors de ma rétrospective des meilleurs films de 1992, je ne l’avais pas revu depuis et avais un peu peur d’être déçu. Pour conjurer cette peur, l’ami Bernard m’a gracieusement offert le DVD qu’il a lui-même édité (qu’il en soit remercié une fois de plus) en m’assurant que le film de Lauzon n’avait pas vieilli.
D’une certaine manière, Bernard n’a pas tort : Léolo n’est pas ce que je craignais (une sorte de bric-à-brac à la Amélie Poulain ou un Toto le héros québécois) et il tient plutôt bien le coup. Par contre, je vois très bien ce qui a pu me toucher dans ce film alors que je sortais à peine de l’adolescence (en suis-je vraiment sorti ?) mais j’avoue qu’aujourd’hui, il paraît un peu plus étranger à mes préoccupations.
Mais reprenons depuis le début. Léolo est le deuxième long-métrage de Jean-Claude Lauzon, cinéaste québécois hélas décédé depuis et dont le premier film s’intitulait Un zoo la nuit. J’ai vu ce film il y a fort longtemps et je ne m’en souviens pratiquement plus, si ce n’est qu’il y était question de rapports père/fils, de prison et que l’ensemble était à la fois très dur et très glauque. Rétrospectivement, Léolo poursuit cette veine puisque le cinéaste dresse le tableau un brin déjanté d’une famille populaire vu par les yeux du jeune Léo Lauzon (quelle part d’autobiographie dans cette fiction ? Je l’ignore totalement).
Le cinéaste tente de reconstruire une réalité correspondant aux souvenirs de l’enfance et, subséquemment, il fait la part belle à l’imaginaire. Le film se compose alors d’une succession de saynètes incongrues, poétiques ou crues.
Le principal reproche que je ferais aujourd’hui au film, c’est sa manière presque trop « évidente » d’afficher son caractère « poétique ». Léo est un solitaire qui se réfugie dans la lecture et le rêve pour échapper à la réalité d’une famille sordide. Du coup, Lauzon a recours à une voix-off omniprésente et incantatoire qui tourne parfois au procédé. La dichotomie entre l’univers imaginaire de l’enfant et la vile réalité est aussi un peu facile d’autant plus que le cinéaste est sans pitié pour certains personnages (le grand-père libidineux, incarné par Guiomar, qui se fait couper les ongles des doigts de pieds par une frêle adolescente à qui il demande de lui montrer ses « teutons »).
Cette réserve faite, le film est tout à fait estimable et réussi. Sa force, c’est que l’imaginaire qu’il illustre n’a rien des joliesses d’un Jeunet. Au contraire, Léolo tire sa puissance de la manière dont son jeune héros compose avec un environnement que Lauzon regarde sans rien édulcorer ni nous épargner les détails les plus crus (les gamins qui s’amusent à sniffer la colle, à jouer les rebelles et à…violer un chat !) tout en parvenant, par la force de la mise en scène, à s’extirper de ce monde pour se réfugier dans un imaginaire où se mêlent la Sicile et la jolie voisine dont Léolo est amoureux (celle qui arrondit ses fins de mois en jouant les pédicures privées du grand-père !).
Chronique familiale, Léolo alterne les moments tragi-comiques (le père de famille qui force ses enfants à aller à la selle sous prétexte que c’est un signe de bonne santé, la burlesque tentative de meurtre du grand-père par le jeune garçon…) et ceux plus poétiques où Lauzon parvient de manière pas toujours délicate mais assez forte à retrouver les parfums ambigus de l’enfance, entre l’innocence d’un imaginaire toujours vivace et l’attirance pour l’interdit et les « perversions » (Léo s’avère un sacré obsédé sexuel et je vous laisse découvrir la manière peu ragoûtante dont il soulage pour la première fois ses désirs !).
Derrière certaines outrances percent de véritables éclairs de tendresse pour cette famille déglinguée qui permettent au film de ne pas rester constamment dans une veine « affreux, sales et méchants » ; je pense à ce moment où le frère aîné, que Léo voit comme un bodybuilder, se fait casser la gueule sous ses yeux et s’écroule en pleurant, montrant ainsi sa détresse. Idem pour la sœur suicidaire qui permet à Lauzon de nous assommer (au bon sens du terme) avec ce que peut-être aussi la grande détresse de l’enfance et de l’adolescence.
Cinématographiquement, le film est plutôt virtuose, alternant les passages très « réalistes » avec d’autres aux confins du fantastique ou d’un grotesque baroque. On remarquera aussi un travail impressionnant sur le son et un montage qui parvient à rendre limpide un film qui n’hésite pas avec les coq-à-l’âne spatio-temporels.
Léolo ne retrouvera sans doute pas une place dans mes dix films préférés de 1992 mais je suis content de l’avoir revu et d’avoir pu constater, malgré quelques défauts, qu’il tient plutôt très bien le coup…