Capitaine Achab (2007) de Philippe Ramos avec Denis Lavant, Dominique Blanc, Jacques Bonnaffé, Philippe Katerine

 

J’ai découvert Philippe Ramos à Clermont-Ferrand (bis). Dans une sélection parallèle était projeté Ici-bas, un étrange film d’une implacable rigueur qui se plaçait d’emblée sous la tutelle de Bresson, de Bernanos et de Bataille. C’est dire si l’on attendait avec curiosité la suite ! Elle vint sous la forme d’un premier long-métrage intitulé L’arche de Noé, film qui m’avait intéressé mais dont je serais incapable aujourd’hui de vous dire deux mots tant je l’ai complètement oublié. 

Pour son deuxième film, Ramos met en œuvre le projet le plus fou que nous ayons vu depuis longtemps au sein du cinéma français. Il s’agit, après John Huston, d’adapter le volumineux et célèbre roman d’Herman Melville Moby Dick avec les moyens du bord (c'est-à-dire le budget d’un film « d’auteur » à la française) et en une heure quarante.

Il est probable que je me déciderai un jour à lire Moby Dick mais, pour l’heure, je ne le connais toujours pas et cette ignorance n’est peut-être pas une mauvaise chose pour aborder le film de Ramos. Débarrassé de l’obligation de jouer la carte des comparaisons et de déplorer une adaptation lacunaire (je suppose que c’est le cas !), j’ai pu m’immerger totalement dans cette expérience de cinéma véritablement stimulante. Et je pense que d’une certaine manière, Ramos a parfaitement saisi les enjeux « métaphysique » de l’œuvre de Melville et son film se contente (c’est déjà beaucoup !) d’en tirer la substantifique moelle (à la différence de Huston qui signait un film d’aventures pas désagréable mais assez anodin, du moins dans mon souvenir).

Que les amateurs de grands spectacles qui rêvent aux aventures épiques d’un marin défiant l’océan pour retrouver la baleine blanche qui lui a coûté une jambe passent leur chemin : Capitaine Achab est une épure où Philippe Ramos tente d’inventer une nouvelle forme de romanesque.

Les deux tiers du film sont consacrés à l’enfance d’Achab. Le film est divisé en chapitres et chacun de ces chapitres est pris en charge  par une voix-off différente (le père pour le premier, la tante Rose pour le deuxième…) qui tente de décrire le cheminement spirituel de ce jeune garçon livré à lui-même et qui deviendra plus tard un redoutable capitaine.

Toutes les données romanesques du film (l’amitié d’Achab pour Louise, la jeune maîtresse de son père, la mort du père, l’adoption par la tante Rose, la fugue…) sont traitées d’une manière très stylisée par le cinéaste. Les partis pris esthétiques de Ramos sont forts et ne peuvent que réjouir : plans tirés au cordeau, rigueur de la composition du cadre, souffle des plans d’ensemble qui évoquent ceux de Dumont1, beauté de la photographie… Capitaine Achab est un film très pictural où le cinéaste se permet même quelques coquetteries assez étonnantes et plutôt justifiées (cette manière de fermer légèrement l’image à l’iris et de fixer des tableaux vivants dans des sortes de médaillons).

Les voix fatiguées qui précèdent l’action donnent au film un caractère incantatoire qui fixe l’enfance d’Achab dans un temps immémorial et le mythe (ce très beau plan où l’enfant est assommé et dérive sur l’eau, inconscient sur sa barque).

La force de Capitaine Achab, c’est de parvenir à allier un propos assez complexe, lourd en symboles (la lutte perpétuelle de l’homme contre la nature, la baleine comme symbole d’une quête biblique à atteindre…) et le poids du Réel, la présence des paysages et la minéralité des corps.

En ce sens, confier le rôle titre du capitaine Achab adulte à Denis Lavant est un choix de casting particulièrement judicieux. Le grand et singulier comédien fait merveille dans ce rôle puissant qu’il habite avec une rare conviction. Du petit garçon qui traîne partout sa vieille bible tachée à l’adulte obsédé par l’idée de se confronter au monstre marin, Philippe Ramos est parvenu à donner corps à un véritable personnage romanesque.

Si je devais émettre un tout petit bémol, je ciblerais (défaut récurrent chez Ramos) paradoxalement la maîtrise de son film. Cette rigueur de mise en scène est à la fois une qualité mais le bât blesse quand elle vire au procédé. On sent parfois que le film est trop « pensé », trop calculé et il frise parfois l’asphyxie. C’est dommage car en lâchant un peu de leste, Ramos avait les moyens de tourner un très grand film or il faiblit un peu dans sa deuxième partie (tout le passage évoquant la relation entre le blessé Lavant et sa « soignante » Dominique Blanc est un peu moins inspiré même si l’actrice est absolument parfaite).

Ces quelques réserves ne doivent pas vous empêcher d’aller risquer l’aventure de ce film curieux et original (il faudrait en dire plus sur son improbable casting où l’on croise à nouveau Bonnaffé –aussi bon que chez Moutout-, Stévenin, Bouvet et, cerise sur le gâteau, un Katerine qui s’en donne à cœur joie pour incarner un aristo maniéré très drôle).

Même si ces films ne sont sans doute pas de grands chefs-d’œuvre, Capitaine Achab prouve, après la fabrique des sentiments, qu’il existe encore en France des alternatives au cinéma d’auteur étriqué et aux grosses machines débilitantes.

C’est une bonne nouvelle…



1 Un Bruno Dumont, crédité du titre de « régisseur des extérieurs », est cité au générique de fin. Il est probable qu’il s’agisse d’un homonyme mais quelqu’un pourrait-il m’en dire plus ? En tous cas, coïncidence ou pas, Dumont et Ramos appartiennent à la même famille de cinéastes…

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