Vivre à Naples et mourir (1978) de Gérard Courant avec les voix de Werner Schroerter, Gérard Courant et Jean-Claude Moireau

Vincent Nordon, Roland Barthes et Ca/Cinéma (2010) de Gérard Courant avec Vincent Nordon.

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Il n’aura pas échappé au plus inattentif d’entre vous qu’il est souvent question de Gérard Courant ici même. Grâce à un petit échange dans la rubrique « commentaires » de l’indispensable blog de Vincent que je ne présente plus, j’ai eu le plaisir de constater que ce dernier allait prendre le relais et nous proposer également une note sur l’œuvre de ce cinéaste atypique.

Cette annonce m’a donné une idée : plutôt que d’écrire seul dans le vide (je préfère cette expression à « prêcher dans le désert », ne me sentant absolument pas investi d’une quelconque « mission » et me réservant le droit de ne pas aimer un film de l’auteur de Cinématon même si – en toute sincérité-, ça ne m’est pas encore arrivé), je me suis dis que j’aimerais beaucoup voir d’autres textes sur son oeuvre chez mes voisins blogueurs.

J’ai donc profité de son passage à Dijon (il est venu en compagnie de Joseph Morder animer une soirée consacrée au « journal intime filmé ») pour lui demander s’il était prêt à envoyer aux éventuelles personnes intéressées quelques copies de ses films, ce qu’il a accepté immédiatement (Vincent vous le confirmera, Gérard Courant est quelqu’un de très généreux, toujours prêt à partager son immense culture et ses films).

Je propose donc aux volontaires d’aller jeter un œil sur son impressionnante filmographie () et de choisir le titre qui les tente et qui pourrait faire l’objet d’une note. J’ai hâte de voir le résultat ! (Si vous n’avez pas d’idées, je peux vous en proposer : un collectionneur sportif comme Ed devrait voir Chambéry Les Arcs tandis qu’un amateur des premiers Garrel comme Joachim ne devrait pas manquer Amours décolorées).

 

Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, je vais vous parler aujourd’hui d’un film de Gérard Courant que vous pourrez voir en salles (enfin, les heureux parisiens !) puisque Vivre à Naples et mourir est projeté ce dimanche (à 15 heures) au Centre Georges Pompidou dans le cadre de la grande rétrospective Werner Schroeter.

Grand amateur du cinéaste allemand (Courant lui a consacré un livre en 1982 et a organisé une rencontre aujourd’hui mythique entre l’auteur de La mort de Maria Malibran et Michel Foucault), il le rencontre à Cannes en 1978 à l’occasion de la présentation du Règne de Naples. Comme les films qu’il a pu consacrer à Garrel, il s’agit uniquement d’un enregistrement sonore de la conversation entre le cinéaste et le jeune cinéphile qui commençait alors à tourner ses propres films.

Pour accompagner les traces sonores de cette rencontre, Courant a composé un collage habile où se mêlent des extraits des films de Schroeter, des images d’archives, diverses photos et mêmes quelques extraits de ses propres Cinématons

Avouons-le : il n’est pas aisé de « rentrer » dans le film dans la mesure où la conversation a été enregistrée à la terrasse de l’hôtel Majestic et que la voix monocorde de Schroeter (qui parle un français impeccable ou presque) est parasitée par un bruit de fond un poil agaçant (verres qui tintent, brouhahas des clients, etc.).

Mais peu à peu, on finit par oublier la qualité assez moyenne de la bande-son pour écouter le cinéaste parler de l’évolution de son style, de ses comédiens ou de ses confrères (s’il a de l’estime pour Fassbinder chez qui il a tourné, notamment dans Le monde sur le fil qui vient d’être réédité ; il est en revanche assez sévère à l’égard de Syberberg qui « ne l’intéresse pas »).

Vivre à Naples et mourir prouve une fois de plus que le cinéma et Gérard Courant sont nés beaucoup trop tard. Le rêve du cinéaste, j’en suis persuadé, aurait été de pouvoir naître un siècle plus tôt et de conserver des traces des causeries dans les salons littéraires de la fin du XIXème siècle, y filmer Zola, les Goncourt, Daudet ; enregistrer les débats et disputes au sein des divers journaux parisiens, conserver quelque part les voix des orateurs anarchistes ou l’ambiance de petites réunions clandestines…

Il y a dans Vivre à Naples et mourir cette immédiate conscience de vivre un instant privilégié qui mérite d’être conservé pour la postérité.

En conversant avec Schroeter, il se pose davantage en complice et ami du cinéaste qu’en tant que journaliste réalisant une émission de radio. A ce titre, le moment que je préfère est peut-être celui où c’est Schroeter qui finit par interroger le jeune homme sur ses réalisations cinématographiques et où celui-ci  explique qu’il  a filmé quelques portraits d’amis de manière expérimentale.

Pouvait-il imaginer à cet instant que Cinématon, dont on voit quelques courts extraits, comporterait plus de 2330 portraits ?)

 

Ce renversement de position intervieweur/ interviewé ; on le retrouve dans Vincent Nordon, Roland Barthes et Ca/Cinéma. Alors que Nordon évoque depuis plus de 45 minutes ses souvenirs de jeunesse, il s’arrête pour poser des questions à Courant et l’écouter évoquer, hors champ, l’organisation de cette fameuse rencontre Schroeter/ Foucault (la boucle est bouclée !)

 

Si ses « carnets filmés » me touchent autant, c’est qu’ils sont à la fois de précieux documents pour les historiens et pour les cinéphiles (cette conversation avec Nordon m’a semblé aussi passionnante que le célébrissime dialogue entre Debray et Daney filmé par Boutang) mais qu’ils renvoient également au « roman autobiographique » de Courant. S’il demande à Nordon d’évoquer les années 70 et les figures de Barthes, Metz, Joël Farges ou encore Marguerite Duras ; c’est aussi parce que cette époque représente sa jeunesse et ses débuts de cinéaste (entre autres).

A l’instar des Cinématons, Courant parvient avec ses « carnets filmés » à livrer des documents « objectifs », des archives incroyablement précieuses et, en creux, une sorte d’incessant autoportrait d’un homme de son temps…

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