Études sur Paris (1928) d'André Sauvage (Editions Carlotta). Sortie le 10 octobre 2012

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Alors qu'il n'est pas encore devenu parlant, on peut dire que le langage cinématographique a déjà atteint une sorte d'apogée, qu'il est parvenu à inventer une grammaire autonome et à affiner ses articulations d'une manière tout à fait remarquable. Et sans jouer la carte du passéisme à tout crin, on peut affirmer sans crainte que tout avait déjà été inventé par Griffith, Stroheim, Chaplin, Murnau, Flaherty, Eisenstein, Vigo, Lang et quelques autres.

Au cours des années 20, les artistes d'avant-garde s'intéressent également au cinéma et l'on voit des gens comme Léger, Duchamp, Richter et, bien évidemment, Buñuel faire voler en éclat les règles du récit et de la représentation.

C'est dans ce contexte que surgissent ces Études sur Paris d'André Sauvage.

Artiste peintre, écrivain et poète, Sauvage débute au cinéma en réalisant en 1923 La traversée du Grépon (une version incomplète de ce documentaire est proposée en supplément du DVD) avant de tourner plusieurs « documentaires » (Portrait de la Grèce) et quelques courtes fictions (nous reviendrons sur Pivoine déménage). Mais ce qui va mettre un terme à sa carrière, c'est la fameuse Croisière jaune commanditée par André Citroën. Peu sensible aux ambitions artistiques de Sauvage et à son esprit libre, le marchand de bagnoles l'évince purement et simplement en attribuant la paternité de sa commande au seul Léon Poirier. Cette mésaventure mettra un terme à la carrière cinématographique d'André Sauvage.

 

On ne peut que le regretter lorsqu'on découvre Étude sur Paris, véritable ciné-poème qui n'a pas à rougir de la comparaison avec A propos de Nice de Jean Vigo ou L'homme à la caméra de Dziga Vertov. Sauvage nous propose une balade dans les rues de Paris à la fin des années 20 et nous plonge dans l'univers des « années folles ». Nous visiterons à la fois les monuments les plus célèbres (la tour Eiffel, le panthéon, Notre-Dame, le Sacré-cœur...) mais également des quartiers plus populaires et les bords de la Seine. J'ai même eu le plaisir de reconnaître ce qui est devenu aujourd'hui le Parc Georges Brassens (les bibliophiles connaissent parfaitement cet endroit) qui était alors le marché au chevaux de la porte de Versailles.

 

Ce qui frappe en premier lieu dans ce film qui n'aurait pu être, au fond, qu'un reportage plan-plan avec un unique intérêt anthropologique, c'est la constante inventivité de la mise en scène. La caméra de Sauvage est sans arrêt en mouvement (souvent embarquée sur les flots), jouant sur les interactions entre des panoramiques gauche-droite montés avec des panoramiques droite-gauche (ou vice-versa). Les valeurs de cadre ne sont jamais répétitives et le montage constamment inspiré parvient à lier des éléments hétérogènes qui vont du très gros plans (sur des pieds pendant mollement au-dessus de l'eau) à des vues d'ensemble assez extraordinaires (notamment ces plans tournés en haut de Notre-Dame).

Ce montage rapide qui privilégie le mouvement et les éléments disjoints à la continuité narrative rapproche Études sur Paris des essais de Dziga Vertov. On peut également associer le cinéma d'André Sauvage au mouvement futuriste avec cette obsession qu'on retrouve ici pour la vitesse, le mouvement et les éléments évoquant la modernité. Le cinéaste nous propose effectivement la vision d'une ville en pleine industrialisation et il s'amuse à jouer sur les éléments verticaux (tours, cheminées d'usines crachant de la fumée, structures métalliques...) pour créer de véritables rimes visuelles. Il accentue également le contraste entre ces machines et ces usines et le travail manuel des hommes qui semble presque archaïque (les chevaux, la pêche dans la Seine...)

 

Pour ma part, je trouve que le plus intéressant d’Études sur Paris ne sont pas ces moments où Sauvage filme les monuments célèbres de la capitale (parce qu'en 70 ans, ils ont finalement peu changé) mais ces passages extraordinaires où il nous plonge dans la foule grouillante, la circulation anarchique ou qu'il parvient à fixer sur pellicule de courtes saynètes de la vie quotidienne prises sur le vif. Je n'aime rien tant que ces plans sur des immeubles, sur les devantures de cinémas ou encore ce plan fugitif d'un music-hall annonçant Mistinguett.

De la même manière, on regarde avec une certaine stupéfaction ces quais de Seine qui font presque campagnards à l'époque et ces prémices à une industrialisation sauvage (si j'ose dire!) (Sauvage filme également ce qui n'était pas encore la banlieue parisienne mais une nature de plus en plus domestiquée par les hommes).

 

Son film prouve une fois de plus l'incroyable puissance du cinéma pour saisir le mouvement même de la vie (ou, du moins, sa représentation) : Études sur Paris est à la fois un document exceptionnel sur une ville bouillonnante mais également une véritable œuvre d'art parce que Sauvage est parvenu à donner à ses visions une forme constamment novatrice.

C'est tout simplement magnifique...

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BONUS

 

Les autres films d'André Sauvage présentés en guise de suppléments sont soit fragmentaires, soit plus ou moins reconstitués à partir d'éléments retrouvés mais sans doute pas totalement représentatifs de ce qu'ils furent.

Petite curiosité : Sauvage a tourné deux petites fictions. Pivoine déménage (avec Michel Simon) est un essai de film parlant mais la bande-sonore est aujourd'hui perdue. Du coup, nous avons droit au film avec des sous-titres. Paradoxalement, ce petit récit de la vie quotidienne d'un clochard parisien illustre ce que le cinéma a pu perdre lorsqu'il est devenu sonore. En effet, dès que Sauvage se concentre sur les dialogues, il retombe dans les travers du théâtre filmé sans inspiration, dans un décor unique. En revanche, dès qu'il « aère » son film avec des vues documentaires, il est passionnant.

Même constat pour Edouard Goerg à Cély, petit mélodrame bourgeois (un vieux garçon voit sa vie bouleversée lorsque des amis lui présentent une jeune femme dont il va tomber amoureux mais qui s’avérera mariée) qui ne vaut que pour son dernier tiers (ses cinq dernières minutes, pour le dire autrement) où la caméra de Sauvage se libère un peu et va flâner à la campagne avec ses personnages (la mise en scène devient plus inventive en terme de cadre et d'échelle de plan).

 

Outre un charmant petit film de famille, c'est sans aucun doute Portrait de la Grèce qui a le plus attiré notre attention. Comme dans Études sur Paris, le cinéaste nous propose un montage (malheureusement partiel : là encore, le film a disparu) tout à fait inventif et parvient à saisir le mouvement même de la vie. Si on est un tout petit moins séduit, c'est que le film a un côté plus « touristique » et filme davantage la nature et les monuments (le Parthénon, par exemple) que les hommes. Du coup, le film paraît un peu plus anecdotique, cédant à la tentation de l'exotisme (très en vogue ces années-là). Mais encore une fois, il faudrait voir la version voulue par André Sauvage pour prononcer un jugement définitif...

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