The social network (2010) de David Fincher avec Jesse Eisenberg, Andrew Garfield, Justin Timberlake

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Je n’ai jamais été un grand fan du cinéma clinquant et tapageur de David Fincher (le très surestimé Fight club, The game, etc.). Cette défiance vis-à-vis du cinéaste m’a d’ailleurs empêché de découvrir les réalisations récentes qui ont redoré son blason du côté de la critique (Zodiac, L’étrange histoire de Benjamin Button). C’est donc avec curiosité que j’allais voir The social network,  le fameux biopic consacré à Mark Zuckerberg, petit prodige en informatique qui deviendra l’un des plus jeunes (23 ans !) milliardaires de la planète en inventant Facebook.

On imagine les nombreux écueils auxquels auraient pu se heurter David Fincher. Primo, se laisser griser par la fulgurance de cette success-story à l’américaine et ne retenir que le clinquant de la chose : la revanche du nerd introverti, les fêtes, l’alcool, le sexe et l’argent qui coule à flot… Secundo, une volonté un peu artificielle de vouloir absolument tenir un discours sur le « phénomène Facebook » qui nous aurait tout de suite ramené du côté des sentiers battus du film « sociologique » et lourdement démonstratif. Mais fort heureusement, David Fincher n’est ni Fabien Onteniente, ni Bertrand Tavernier et il parvient à réaliser un film assez étonnant qui ne soucie finalement  guère du spectaculaire et qui mise davantage sur le côté « humain » de l’aventure plutôt que sur ses implications « sociologiques » dont on se moque royalement.

The social network, tout le monde l’a suffisamment souligné, débute par une rupture et un dépit amoureux. Furieux d’avoir été plaqué par sa petite amie, Mark pirate le système informatique d’Harvard où il étudie, accède aux trombinoscopes de l’université et créé un site permettant aux internautes d’élire l’étudiante la plus « canon ». L’idée de réseau, de transparence et d’interactivité est déjà en germe. En filigrane de l’aventure exceptionnelle que constitue la création de Facebook, il y aura toujours cette idée de revanche pour cet étudiant asocial et plutôt ingrat qui cherche à intégrer les « cercles privés » de l’université.

 

La grande réussite du film tient justement dans ce côté un peu dérisoire de toutes les passions humaines et des folies dont elles peuvent être le moteur. C’est moins le côté self made man de son héros que le cinéaste cherche à mettre en valeur que son amour-propre blessé et son désir de reconquérir sa fiancée (la dernière image du film est assez éblouissante). Le pari de Fincher, c’est de rejouer la carte d’un cinéma « humain », centré sur des personnages et des relations humaines conflictuelles. Beaucoup l’ont déjà souligné mais la mise en scène est au diapason de dialogues très brillants et d’une construction narrative complexe qui évoque, toutes proportions gardées, le cinéma cruel de Mankiewicz. On ne trouvera pas dans The social network les horribles tics visuels et effets clinquants qui ont fait la réputation du premier Fincher (mettons à part une très vilaine course d’aviron accompagnée d’une version déjantée du Peer Gynt de Grieg) mais une rapidité d’exécution qui parvient à mettre parfaitement en valeur les vrais enjeux du film : la déception sentimentale, la trahison, l’amitié et ses revers…

On admire une fois de plus cette capacité qu’ont les américains à faire exister d’emblée des personnages complexes sans avoir recours aux artifices grossiers de la psychologie. Mark Zuckerberg n’a, a priori, rien de sympathique et son arrogance butée donne des envies de gifles. Pourtant, le film ne le condamne pas plus qu’il ne le « sauve » : il en fait un être profondément contradictoire qui cherche à panser ses blessures en cherchant à en découdre avec la terre entière. Et tous les personnages qui l’entourent sont traités de cette façon, behavioriste pourrait-on dire (c’est leur comportement et les interactions entre eux qui les façonnent) ; que ça soit l’ami des débuts (Eduardo Savarin), le tonitruant inventeur de Napster Sean Parker (joué de façon plutôt convaincante par Timberlake) ou encore les jumeaux qui représentent un monde « à l’ancienne ».

Par le biais de ces relations qui se démêlent aussi devant les tribunaux, Fincher parvient également à montrer, mais encore une fois sans le moindre didactisme « sociologique », l’impact de la « révolution Facebook ». Une des obsessions de Mark, c’est de rentrer dans les « cercles » de Harvard (n’oublions pas de signaler que The social network joue agréablement avec la mythologie des « films de campus » américains). En créant Facebook, il invente un nouveau type de réseau qui rend obsolète ces confréries à l’ancienne. Aux cérémonies archaïques et à leurs rites d’initiation (les immondes pratiques de bizutage) succède le réseau social virtuel basé sur l’interactivité et la transparence. Il ne s’agit pas pour le film de s’en réjouir ou de s’en alarmer mais de constater un état de fait.

Tout en notant qu’au cœur de ce nouvel univers virtuel, ce sont toujours les mêmes données qui font tourner le monde : les sentiments, l’ego, le dépit et un certain mystère qui, toujours, persiste…  

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