Apocalypse now
L'ultimatum des trois mercenaires (1977) de Robert Aldrich avec Burt Lancaster, Richard Widmark, Joseph Cotten (Editions Carlotta Films). Sortie le 6 novembre 2013.
En quatrième vitesse se terminait de manière quasi apocalyptique sur l'explosion d'une bombe atomique. L'ultimatum des trois mercenaires prend à nouveau comme objet la menace nucléaire. Cette fois, c'est un ancien général de l'US Air Force qui, aidé de trois complices, s'introduit dans une base militaire du Montana et prend le contrôle de neuf missiles.
A partir de là débute un intense face à face entre ces hommes et la maison blanche puisque Dell cherche à faire passer un message au monde...
En 1977, Aldrich n'a rien perdu de sa superbe. Au contraire, il livre avec L'ultimatum des trois mercenaires un thriller haletant mâtiné de fable géopolitique passionnante. Mais le plus impressionnant est de voir la manière qu'a le cinéaste de coller à son époque tout en plongeant à nouveau dans ce qui fait l'essence de son cinéma. Pour le dire d'une manière un peu emphatique, Aldrich ne s'est jamais intéressé qu'à la condition de l'homme dans un environnement hostile. Chacune de ses œuvres peut s'interpréter comme le combat d'un individu luttant pour sa survie, de Mike Hammer pris dans la spirale d' En quatrième vitesse à cet ancien général qui tient à révéler les tenants et aboutissants de la politique criminelle des États-Unis au Vietnam. Pour ce personnage idéaliste, tous les moyens sont bons y compris les plus extrêmes puisqu'il choisit le chantage à l'arme nucléaire !
Chaque scène d'action est filmée comme si les personnages effectuaient le dernier geste de leur existence : voler une voiture de l'armée, s'introduire dans le silo, désactiver les systèmes de sécurité... Aldrich filme ces moments avec une sécheresse remarquable. Même lorsqu'il dure longtemps (le film fait 2 h 24), son cinéma est dénué de toute « mauvaise graisse » et le découpage nous plonge au cœur de l'action et de sa brutalité.
En 1977, le cinéaste adopte même certains procédés très en vogue à l'époque comme le split-screen qui lui permet de briser la monotonie du classique montage parallèle et d'insuffler une dynamique à l'action en la morcelant (l'écran est parfois divisé en quatre). Ce recours aux écrans divisés lui permet également d'intensifier le sentiment d'urgence : en éclatant les points de vue, le cinéaste cherche à montrer les logiques qui s'affrontent et qui luttent, des deux côtés de la barrière, pour leur propre survie (celle de l’État et celle de l'individu).
Comme souvent chez Aldrich, la brutalité et la noirceur sont les couleurs dominantes de l’œuvre. Dans L'ultimatum des trois mercenaires, le cinéaste pousse tellement loin le nihilisme qu'il en devient presque anarchiste. Ça commence immédiatement lorsque le président échange cyniquement (mais en se drapant derrière les oripeaux de la vertu) un réfugié politique alors que la peine de mort l'attend dans son pays contre des promesses de marchés. L'univers est désormais aux mains de cyniques sans scrupule, de militaires crapuleux capables de faire tuer leurs soldats au Vietnam pour montrer leur détermination aux soviétiques.
Le film est hanté par le traumatisme du Vietnam : non pas tant comme chez Cimino, Coppola ou Kubrick du point de vue de l'expérience des soldats que par un sentiment d'absurdité généralisée. Ce que veut montrer Dell au monde entier, c'est que l'Amérique est partie se battre pour rien si ce n'est asseoir une pseudo-autorité dans le cadre de la Guerre Froide contre l'URSS.
L'horreur de cette guerre se double d'une autre angoisse : celle de l'explosion finale de la planète grâce aux armes nucléaires. Si Dell détourne cette menace à son profit, elle n'en reste pas moins prégnante et plane comme une épée de Damoclès sur un univers vide de sens.
La force du film tient sans aucun doute à l'équilibre que le cinéaste parvient à instaurer entre les scènes d'action et de longues scènes de discussions entre les états-majors et le président. Le théâtre de la politique (où pataugent également toutes les vieilles ganaches de l'armée) est ici analysé avec une ironie féroce qui fait froid dans le dos. Tout n'est plus que manœuvres électorales et magouilles pour conserver quelques miettes de pouvoir. Le cynisme est, là encore, généralisé et il faut voir cet instant où tout bascule et où le président, utilisé comme symbole, est lui-même sacrifié (ce sacrifice n'a rien de l'héroïsme présidentiel que l'on peut trouver dans certains blockbusters contemporains!).
Il ressort du film qu'il vaut mieux sacrifier le symbole même de la démocratie (le président) plutôt que de dévoiler au peuple la vérité, de l'initier aux réelles motivations du Pouvoir.
Ce qui perdra Dell, c'est son idéalisme et sa croyance, malgré tous les obstacles qu'il a dû déjouer, en la parole d'un homme. Et d'une certaine manière, même si c'est un « terroriste », Aldrich se place visiblement du côté de ce romantique (incarné avec panache par Lancaster) qui veut tout faire pour que la vérité éclate.
La fin, terrible et attendue, nous montre que ce monde est décidément totalement corrompu et qu'il n'y a plus de place pour l'individu libre et idéaliste...
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Je n'aurai sans doute pas le temps d'en faire une critique plus complète alors quelques mots sur The immigrant (2013) de James Gray. Rien à redire sur la facture impeccable du film : la reconstitution du New-York des années 20 est très réussie et la photo sombre et mordorée est très belle. Marion Cotillard s'en sort plutôt bien dans le rôle de cette jeune femme polonaise qui fuit les atrocités de la guerre et tente le tout pour le tout afin de trouver de l'argent et faire sortir sa sœur d'un hôpital où elle a été placée en quarantaine. Après Two lovers, Gray joue à nouveau la carte du mélodrame et analyse la complexité des liens familiaux (Bruno, le « souteneur » de la jeune polonaise est cousin avec le magicien Orlando qui est, lui aussi, séduit par la jeune femme). Le film est intelligent et recèle de nombreux beaux moments (la dernière scène, notamment) mais quelque chose m'a empêché d'être totalement séduit.
Est-ce le côté un peu figé de la reconstitution ? La difficulté que le cinéaste a de faire vivre certains personnages (ce magicien un peu sacrifié, à mon avis) ? Bref, je n'ai pas été ému comme j'aurais aimé l'être même si je reconnais le talent du cinéaste Gray et les qualités de son film.
Une œuvre sombre mais qui ne possède pas le lyrisme singulier de Two lovers.