Le carrefour de la mort (1947) de Henry Hathaway avec Victor Mature, Coleen Gray, Richard Widmark

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Un an après L’impasse tragique, Henry Hathaway récidive dans le film noir et signe Le carrefour de la mort, voué lui aussi à devenir l’un des jalons incontournables du genre au point que Barbet Schroeder en fera un remake en 1995 (Kiss of death).

Pour ma part, je réitérerais volontiers les remarques que je faisais la semaine prochaine à propos de L’impasse tragique en soulignant le fait que ce Carrefour de la mort est à la fois une œuvre impeccable, remarquablement construite, jouée à la perfection et bénéficiant d’une direction artistique irréprochable sans être pour autant une œuvre de styliste et un chef d’œuvre absolu. Encore une fois, l’excellent artisan que fut Hathaway est « porté » par les conventions d’un genre qu’il se contente d’illustrer impeccablement (cela ne diminue en rien son mérite !).

Néanmoins, on devine ce qui a pu séduire Schroeder dans ce film noir qui montre avec une véritable force comment le Bien et le Mal sont parfois très proches et inextricablement liés. Aucun personnage dans ce Carrefour de la mort n’est tout « blanc » ou tout « noir » (à l’exception peut-être du caïd qu’incarne génialement Richard Widmark). Il s’agit davantage d’un éternel balancier où le hasard vous pousse soit d’un côté, soit de l’autre.

 

Le récit est construit en trois mouvements. Le premier suit les traces de Nick Bianco (Victor Mature), petit truand qui braque les bijouteries pour gagner un peu d’argent et faire vivre sa famille. Ce qui séduit dans cette première partie, c’est le côté réaliste que donne Hathaway à un film tourné en extérieur et en décors « réels » (on comprend d’ailleurs, a posteriori, le goût des cinéastes de la Nouvelle Vague pour le film noir). Le braquage inaugural est un modèle dans le genre car cette immersion dans des décors réels lui confère une véracité assez impressionnante.

Cette partie est aussi celle qui rappelle le plus L’impasse tragique. Outre le côté « réaliste », on retrouve en effet un héros (Victor Mature, taciturne et tourmenté) poursuivi par son passé et qui se retrouve dans un inextricable entremêlement de causes et de conséquences qui finit par le faire prisonnier de son destin. Il y a aussi, à travers le portrait de ce personnage, la volonté chez Hathaway d’ancrer son film dans une réalité « sociale » : le vol est ici clairement désigné comme la conséquence de la pauvreté de Bianco. Tout comme le sera sa décision de donner ses anciens complices.

 

Car dans un deuxième temps, Bianco apprend le suicide de sa femme et la mise en orphelinat de ses filles. Il décide de les récupérer et se voit promettre la liberté conditionnelle s’il vend à la police le nom de ses complices et s’il parvient à faire capturer Tommy Udo (Richard Widmark), un des plus dangereux caïds de New York. Sans entrer dans les détails des machinations retorses mises en œuvre par la police, cette partie nous montre justement que l’on demande à Bianco, au nom de la justice, d’agir comme le pire des truands (en mentant, en montant les individus les uns contre les autres…). Il le fait d’ailleurs remarquer au commissaire lorsqu’il lui dit : « vous faîtes un métier presque aussi sale que le mien. ». C’est sans doute le mouvement le plus ambigu du film, celui où Hathaway met en lumière la profonde ambivalence de la nature humaine et cette part de « négatif » qui lui est associée. Encore une fois, cela se traduit en terme de mise en scène par des éclairages contrastés, jouant souvent avec les ombres et cette frontière floue entre l’obscurité et la lumière.

 

Dernier mouvement, Udo est acquitté et Bianco vit désormais dans la crainte de représailles féroces de la part d’un truand qui n’a pas hésité auparavant à pousser une vieille femme handicapée dans des escaliers (moment d’une cruauté assez stupéfiante !) pour atteindre son fils. Pour résumer un peu grossièrement, nous dirions volontiers que c’est la partie Nerfs à vif (version Lee Thompson, pas celle grandiloquente et ridicule de Scorsese !) du film, un face à face à distance entre un homme revenu du côté du Bien et une incarnation parfaite du Mal (inutile d’insister encore sur la performance savoureuse de Widmark qui vole plus d’une fois la vedette à Victor Mature) qui menace soudain sa famille.

Je vous laisse découvrir comment tout cela se termine même si comme dans L’impasse tragique, la fin laisse insatisfait et semble témoigner d’une lutte entre ce que suppose réellement le déroulement de récits fatalistes et « tragiques » et une volonté très hollywoodienne de préserver le « happy end » dans les deux cas.

Malgré cela, ce classique du cinéma noir est à voir et à revoir…

 

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