Benito et moi
Vous connaissez sans doute mon goût du paradoxe mais autant je trouvais le très beau Metteur en scène de mariages très sous-estimé par la critique « officielle », autant je trouve le dernier opus de Marco Bellocchio (pourtant un cinéaste que j’admire énormément et qui est sans aucun doute le plus grand cinéaste italien vivant) un brin surestimé.
Retour de bâton oblige, après les dithyrambes de la presse écrite (ça fonctionne : j’ai vu le film dans une salle presque pleine et c’est tant mieux), j’ai lu également quelques notes assassines comme chez mon camarade Ed ou chez l’ami Hyppogriffe qui parlait de « film débile » alors que Vincere ne le mérite absolument pas. C’est un film suffisamment complexe et audacieux pour mériter notre attention et Bellocchio, à l’inverse de quelqu’un comme Haneke, parvient à faire quelque chose du matériau historique qu’il traite.
Nul n’ignore maintenant que le film suit les traces d’Ida Dalser, maîtresse et épouse du jeune Mussolini avec lequel elle aura un enfant. A l’époque, le futur « Duce » est socialiste, révolutionnaire et anticlérical. Une fois qu’il sera parvenu à gravir les échelons du pouvoir, il s’empressera de renier Ida et son « fils caché ».
Vincere raconte l’histoire cette femme et de son obstination à aller au bout d’elle-même pour faire éclater la vérité…
Ce qui intéresse d’abord dans ce film, c’est la manière dont il s’inscrit parfaitement dans l’œuvre de Bellocchio et dont il prolonge sa réflexion menée depuis quelques années sur l’Italie et son passé. Dans Le sourire de ma mère, il réglait ses comptes avec le pouvoir de l’Eglise tandis que Buongiorno, notte s’interrogeait sur les impasses du terrorisme et l’incapacité d’un peuple à en finir avec les fantômes du passé.
Ici, il revient sur la période fasciste et décortique une nouvelle fois les structures sociales qui aliènent l’individu (comme la caserne autrefois dans La marche triomphale ou la famille dans les poings dans les poches).
Une fois de plus, les mots que Jean-Patrick Manchette écrivait à propos du Saut dans le vide sont parfaitement adaptés pour Vincere : « Le souci de Bellocchio est l’horrible enfermement de l’homme (mâle et femelle). Cet enfermement est historique et social, comme les guerres mondiales et les baguettes de pain, et comme elles il se réalise par beaucoup de médiation ; il se réalise notamment par la médiation de la famille. Le résultat d’un enfermement intense est la pure folie, c'est-à-dire la violence violemment enfermée. »
C’est exactement le sujet de Vincere : une femme qui se heurte aux structures sociales de son temps (le fascisme) et qui sera « violemment enfermée », l’institution psychiatrique soutenue par d’autres institutions (l’Eglise) se chargeant de la retenir entre quatre murs (toutes les scènes où la magnifique Giovanna Mezzogiorno tente de s’évader sont d’une beauté à couper le souffle). A travers cette héroïne, le cinéaste parvient à développer une réflexion complexe sur l’Histoire et l’aliénation de l’individu : en amont, l’Histoire et le fascisme qu’il intègre de manière particulièrement intelligente avec les images d’archives ; en aval, la négation de l’individu opprimé par un Pouvoir qui se sert de toutes les béquilles nécessaires (l’institution psychiatrique, l’Eglise comme dans cette scène où la mère supérieure compatit mais affirme à Ida qu’elle ne doit attendre le bonheur que dans l’au-delà…) pour opprimer les individus.
L’intérêt de Vincere, c’est également la manière dont Bellocchio expérimente diverses formes de narration et rend composite sa mise en scène : outre les images d’actualités fort bien utilisées (avec également cette bonne idée de faire disparaître Mussolini dès qu’il atteint le pouvoir, faisant du personnage une sorte d’abstraction et une quintessence du pouvoir opprimant), le cinéaste a recours à d’autres types d’images qui reflètent les états d’âmes d’Ida (la citation un peu lourde quand même du Kid de Chaplin) ou l’enferment encore plus (cet extraordinaire moment où est projeté une Passion du Christ sur un écran qui semble former le plafond de l’institution où est enfermée la jeune femme). A cela, il faut ajouter de courts passages « chantés » qui trahissent l’ambition première de Bellocchio : faire du cinéma comme on met en scène un opéra.
C’est peut-être là que le bât blesse et que j’ai senti poindre une légère frustration, une (relative) déception (eut égard à l’admiration que je porte au cinéaste). Vincere est un film très intelligent, complexe et remarquablement mis en scène (rien de poussiéreux ni d’académique ici) mais qui ne parvient pas vraiment, à mon sens, à émouvoir.
Le lyrisme n’est pas le fort de Bellocchio et alors que son film aurait pu donner lieu à un splendide mélodrame ; on n’arrive jamais vraiment à se laisser emporter par un souffle romanesque un peu court, sauf le temps de deux ou trois séquences.
Du coup, j’avoue un peu bêtement que j’aurais aimé plus aimer ce film dont la richesse est indéniable mais qui m’a laissé un peu froid.
Peut-être que le revoir (Walden m’a ébloui la deuxième fois que je l’ai vu alors que la première, j’avais frisé l’indigestion) me donnera un autre sentiment mais toujours est-il que, pour l’heure, j’ai été davantage intéressé que passionné et emporté par Vincere…