Cicatrices sous le chapeau
New Mexico (1961) de Sam Peckinpah avec Maureen O’Hara, Brian Keith, Steve Cochran (Editions Sidonis Calysta). Sortie le 3 juin 2014
The deadly companions est le premier long-métrage réalisé par Sam Peckinpah. Celui qui deviendra le grand cinéaste iconoclaste que l’on connaît (La horde sauvage, Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia…) débute sa carrière avec un beau western qui navigue entre un certain classicisme et une volonté de « pervertir » les figures du genre.
Rien de plus classique, en effet, que cette histoire de vengeance et de rédemption. Yellowleg (Brian Keith) recherche l’homme qui, autrefois, l’a cruellement blessé. Il s’acoquine avec Billy (Steve Cochran) et Turk pour braquer une banque. Le film bifurque ensuite lorsqu’au cours d’une fusillade, Yellowleg tue accidentellement le fils de Kit (Maureen O’Hara), une entraîneuse de la bourgade. Il décidera d’accompagner la jeune femme en territoire Apache pour offrir au jeune garçon une sépulture à côté de celle de son père…
Dans un premier temps, Peckinpah paie son tribut au classicisme fordien : des plans de crépuscules flamboyants qui évoquent La charge héroïque (She wore a yellow ribbon), une figure d’entraîneuse qui doit encaisser les railleries des bigotes hypocrites du coin rappelant la pétulante prostituée de Stagecoach (La chevauchée fantastique) et, bien entendu, la présence de l’égérie rousse de Ford, la magnifique Maureen O’Hara.
Mais en 1961, le maître réalise L’homme qui tua Liberty Valance et se met, lui aussi, à remettre en question la légende de l’Ouest et à réfléchir sur la notion de point de vue. Peckinpah arrive trop tard pour pouvoir adopter le genre en toute innocence. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il débute sa carrière avec l’acte le plus inhumain qu’on puisse imaginer : la mort d’un enfant. Pardon pour la tarte à la crème de la réflexion critique mais difficile de ne pas y voir la fin de l’innocence d’un genre.
La communauté humaine que représente Peckinpah n’est en rien idéalisée : les hommes sont mus par des instincts bestiaux (se venger mais également assouvir ses besoins avec n’importe quelle femme -le personnage de Billy qui se montre toujours pressant avec Kit, au point de friser le viol-) et se caractérisent par leur hypocrisie. A ce titre, la scène où l’assemblée villageoise écoute un pasteur rigide et sévère est assez exemplaire. On y entend toutes les rombières s’indigner de la présence de Kit et son fils tout en crachant leur venin. L’enfant se tourne alors vers sa mère et à cette phrase terrible : « si elles doivent aller au paradis, n’y allons pas ».
Si la prostituée de Stagecoach était accueillie de la même manière, il y avait chez Ford une manière de l’intégrer à la joyeuse communauté de la diligence. Ici, Kit est atteinte par un drame atroce et portera toujours en elle la marque de cette stigmatisation.
Peckinpah, même s’il s’inscrit dans cette « ère du soupçon » du western (Penn, Aldrich avant Leone), ne verse pas encore dans le nihilisme qui sera le sien par la suite. Les personnages n’ont plus rien d’héroïque, ils ont un passé douloureux marqué au cœur même de leur chair (la cicatrice de Yellowleg) mais la fin du film (que je ne dévoilerai pas) prouve qu’une certaine rédemption est encore possible.
Le mouvement qu’imprime le cinéaste à son récit est celui qui mène de la vengeance sauvage (avec ce risque « d’accident » qui provoque une bifurcation dans la trajectoire des personnages) à une possibilité de « rachat ».
Tout en proposant un autre regard sur le mythe de l’Ouest américain (il est assez symptomatique que Peckinpah débute son film en caractérisant ses personnages par…leurs pieds), New Mexico s’achève de manière assez apaisée et revient au classicisme.
Si l’on s’apprête à enterrer le genre, il conserve néanmoins quelques beaux restes…