Amours collectives (1976) de et avec Jean-Pierre Bouyxou et Cathy Castel, Rachel Mhas, Jacques Marbeuf, Alban Ceray, Jackie d’Artois

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Mes chers lecteurs, je vous demande exceptionnellement de tenir éloigné les enfants de ces pages puisqu’il va être question aujourd’hui de cinéma pornographique, genre pas plus méprisable que le péplum ou le western et qui n’a fait l’objet que de trop rares notes ici (je crois que c’est d’ailleurs la première fois que je l’évoque sur ce blog même si mes plus anciens lecteurs se souviennent peut-être de deux notes écrites il y a fort longtemps (lorsque j’officiais encore chez 20six !) sur John B.Root et un hommage enthousiaste à Polissons et galipettes, anthologie de films clandestins des « années folles »).

Mais puisque l’occasion se présente de rendre hommage à Jean-Pierre Bouyxou, par ailleurs historien du cinéma (sans doute le plus enthousiasmant officiant aujourd’hui), auteur de romans érotiques youpitants (publiés par les mythiques éditions du Bébé Noir et de La Brigandine), rédacteur infatigable de Fascination, la meilleure revue consacrée à l’érotisme (30 numéros de 1978 à 1986), scénariste et chroniqueur actuel à Siné-Hebdo, n’hésitons pas à  nous pencher sur les films qu’il a aussi réalisés.

En hors-d’œuvre, deux courts-métrages fort amusants qui n’ont pas dû ruiner l’auteur. Le premier, Graphyty (1969) est un film expérimental à la Len Lye et McLaren, à savoir directement dessiné sur de la pellicule volée. Bouyxou rend hommage aux graffitis de pissotières et l’on sent la jubilation du garnement turbulent lorsqu’il inscrit sur la pellicule des slogans de 68 (« voter, c’est abdiquer »), des phrases iconoclastes comme « Mort aux flics » et « Ce film n’est pas dédié à la mémoire d’André Bazin » ou encore une série de mots « obscènes » à faire blêmir les dames patronnesses de France et de Navarre. Au-delà de la provocation potache assez rigolboche, le film séduit par une inventivité formelle qui n’a rien de factice (j’avoue avoir un faible pour ce principe de « grattage de pellicule »).

Sortez vos culs de ma commode (1972) est certainement le premier « ready-made » de l’histoire du cinéma puisque Bouyxou s’est contenté de projeter tel quel un authentique film d’instruction militaire volé à l’armée belge en l’agrémentant d’un générique tordant où tous les bonnets de nuit culturo-médiatiques sont crédités (de Marguerite Duras à Alain Robbe-Grillet en passant par Guy Lux, Annie Cordy, Christian Metz et même Jean Rouch en « conseiller négriers » !). L’œuvre a proprement parler est d’une telle bêtise qu’on peut encore parfois lire ça et là que Bouyxou a « détourné » le commentaire. Or il s’avère qu’il est authentique, offrant un panorama assez saisissant du crétinisme de la « grande muette ».

 

Mais venons-en aux plats les plus corsés puisque Bouyxou a également réalisé deux longs-métrages X (il signera aussi les scénarii des quelques « hard » pour Michel Barny sous le pseudonyme de Jérôme Fandor : Deux belles garces, les charmes secrets de Miss Todd). Avant d’évoquer très prochainement Entrez vite…vite, je mouille ! (j’en vois qui bleuissent de jalousie !), revenons sur sa première œuvre : Amours collectives.  

 

A l’origine, c’est Jean Rollin qui devait tourner ce film mais la légende veut qu’il abandonnât le plateau en constatant le manque de moyens laissés à sa disposition. Du coup, c’est son premier assistant Jean-Pierre Bouyxou qui prit les manettes de l’entreprise et qui tourna le film en une journée de totale improvisation.

Plus de 30 ans après sa réalisation, et malgré un budget misérable (dont l’effet est redoublé par la qualité « VHS » des copies encore disponibles de l’œuvre) c’est la fraîcheur et la spontanéité de l’entreprise qui séduisent.

Bouyxou incarne lui-même un réalisateur qui annonce à toute son équipe que le projet d’une nouvelle version des Deux orphelines a été légèrement modifié et qu’ils vont tous tourner un film « érotique ». Malgré ses dénégations de départ, le film se change rapidement en un pur porno « hard » que le cinéaste bricole avec les moyens du bord mais dans une bonne humeur assez communicative.

Amours collectives est un  work in progress, un film où Bouyxou intègre à la fois les échanges avec son chef opérateur et la direction d’acteur. Il entre souvent dans le champ de la caméra (y compris pour lutiner les comédiennes) pour donner des instructions, des conseils à des acteurs qui semblent réellement tourner ce genre de scènes pour la première fois. Il faut voir l’excellent Jacques Marbeuf (une carrière étonnante puisqu’il débuta par des petits rôles chez Melville et Costa-Gavras avant de se donner corps et âme au genre pornographique avec quelques passages très remarqués dans les nanars épastrouillants d’Eurociné) rechigner au début à l’idée de se déshabiller devant la caméra (« que va dire ma femme ? ») avant de se prêter au jeu avec un professionnalisme qui force le respect.  Une fois parti sur sa lancée, Bouyxou ne cherche aucun alibi « culturel » (pas de scénario) ou « esthétique » pour tourner des scènes pornographiques (même si un très gros plan de fellation m’a fait songer à la magnifique photo de Man Ray Automne) qu’il enchaîne avec une rare décontraction.

Cette liberté formelle (sans doute à rapprocher des premiers Bénazéraf) se double d’un climat libertaire hérité de Mai 68. Amours collectives est une parfaite illustration du « jouir sans entraves » du joli mois de mai : l’amour est une fête et si une actrice n’aime pas certaines pratiques (le « pétale de rose » demandé par Bouyxou), elle fait semblant ! Le sexe est totalement décomplexé et n’est jamais contraint, au point que le cinéaste laisse une de ses comédiennes déclamer du Racine en se masturbant (moment amusant de ce film qu’on regarde avec un sourire constant).

Amours collectives est un film joyeux qui montre que la pornographie peut être belle (après tout, au nom de quelle morale puante une scène montrant une demoiselle pissant dans un verre en gros plan serait plus « obscène » que tous les cadavres montrés crapuleusement par les journaux télévisés quotidiennement ?) à partir du moment où elle est effectuée dans une atmosphère de complicité et de tendresse.

C’est aussi ce qui touche dans ce film, cet « amateurisme » revendiqué où Bouyxou se bat sans arrêt pour que les comédiens prennent des positions permettant de « mieux voir » et où ces derniers semblent néanmoins « résister » à ses consignes ; comme si dans cette aventure collective, tout le monde avait le droit de dire son mot.

C’est donc peu dire que nous sommes à mille lieues de la pornographie lisse et aseptisée d’aujourd’hui, où tout est montré sans le moindre désir et où tout fonctionne comme une simple mécanique dénuée de tout mystère…

 

NB : Je remercie bien évidemment Jean-Pierre Bouyxou qui a bien voulu me transmettre une copie de son film…   

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